L'événement n'est pas passé inaperçue. Dominique Strauss-Kahn, membre imminent du Parti Socialiste, a été élu il y a quelques jours nouveau directeur du Fond monétaire international (FMI), une institution qui brille par son orthodoxie néo-libérale. Ainsi, après l'OMC - dirigée par Pascal Lamy -, c'est une nouvelle grande organisation internationale à laquelle un « socialiste » français prend la tête.
Au Parti Socialiste, les hiérarques ont publiquement salués la nomination du grand Dominique. En coulisse, on s’attriste furieusement de cette nomination qui – d’après les sondages - privera sans doute le Parti Socialiste et la « gauche » du seul leader capable de battre Sarkozy en 2012. D’autres y ont vu une nouvelle « trahison », après celles des Kouchner, Bockel, Jouyet, Lang et j’en passe, par le simple soutien de Sarkozy à sa candidature. Notons que si Sarkozy peut en tirer un grand bénéfice, il n’est pas à l’origine de cette candidature. Il a su « sauter » sur l’occasion, en le soutenant publiquement, rien de plus.
Mais peut-on, au juste, véritablement parler de « trahisons » ?
Ne serait-ce pas plutôt de leur part un aveu salutaire ?
Ne serait-ce pas plutôt de leur part l’aveu que plus grand-chose ne les séparait de leur collègue de l’UMP, et qu’il fallait mieux être honnête, pour une fois ?
Honnête, voilà ce que le Parti Socialiste – entendons par cela ses cadres, son cercle de décideurs - n’a jamais été. Depuis des décennies, depuis le début de la guerre froide, depuis les Guy Mollet, Mitterrand et compagnie, ce parti s’est évertué à passer pour une grande force populaire et républicaine et bien sûr grand défenseur de la classe ouvrière. Il faut bien avouer que la base militante, elle, était pleinement sur cette ligne. Modeste, elle y croyait à l’idéal socialiste et républicain, et se battaient en toute sincérité pour. Elle n’était pas non plus la dernière à s’insurger des injustices qui sévissaient ici et ailleurs.
Chez les décideurs, c’était tout autre. Dans les années 50, on avait beau jurer fidélité à l’idéal jaurésien et à la doctrine marxiste, on avait beau excommunier les « révisionnistes », dans la pratique on se fourvoyait – Guy Mollet en tête - dans des magouilles politico-politiciennes. On recherchait le pouvoir, non pas pour la transformation sociale, mais pour le pouvoir. Et peu importe avec qui on le partageait. Hormis bien sûr s’agissant des communistes, jugés « indésirables » depuis que les Etats-Unis en avaient jugés ainsi. On était bien sûr atlantiste et pour l’Europe fédérale que prônait Jean Monnet, l’agent de la finance américaine.
En 1954, on luttait ainsi pour la CED, la Communauté Européenne de Défense, se mettant gravement à dos les militants, qui avaient bien saisi ses conséquences désastreuses. En 1957, on signait le Traité de Rome, donnant naissance à la Communauté Economique Européenne.
Avec la chute de la IVe République, la SFIO allait être écarté du pouvoir pendant plus de vingt ans. C’est l’époque où elle allait se trouver un nouveau leader en la personne de François Mitterrand, un ancien partisan de la « Révolution Nationale » devenu résistant quand le vent avait tourné…
« Violente ou pacifique, la révolution c’est d’abord une rupture…Celui qui n’accepte pas la rupture…Celui qui ne consent pas la rupture avec l’ordre établi, avec la société capitaliste, celui là, il ne peut pas être adhérent du Parti Socialiste » déclarait-il au congrès d’Epinay en 1971, où la SFIO prit officiellement le nom de « Parti Socialiste ».
C’est sur fond de promesses de « rupture » avec le capitalisme et sur le thème de « changer la vie » que Mitterrand avait fait sa campagne victorieuse de 1981. Mais tous ces beaux discours ne firent pas long feu. Deux ans plus tard, et après quelques concessions sociales, il en était déjà fini de l’idée de rupture… Mais le Parti Socialiste l’avait-il vraiment souhaité ?
La suite ne sera qu’honteuses séries de renoncements. Mitterrand remplacera alors, dans le vocabulaire socialiste, le mot « rupture » par celui tout beau, tout rayonnant d’« Europe ». Il fallait faire l’Europe proclamait-il. L’Europe, c’était la garantie de paix, c’était notre avenir ! Derrière cette grande idée bien généreuse, c’était une construction européenne à l’obédience libérale et atlantico-mondialiste qui se profilait.
En 1986, on signait l’Acte Unique. En 1992, on signait le Traité de Maastricht, que l’on convaincu les socialistes – et une petite majorité de français - de la nécessité de ratifier. Pourtant, c’était signer la fin de tout volontarisme. C’était capituler devant l’idéologie libérale que cette Europe-là sanctuarisait.
Mais l’Europe, la mondialisation, la « modernité » étaient devenus d’époustouflantes justifications au renoncement.
En 1997, Lionel Jospin devint Premier ministre. Sa campagne s’était pourtant accompagnée d’envolées volontaristes et républicaines certaines. Il promettait qu’en cas de victoire de la gauche – à laquelle il ne devait pas croire lui-même -, il s’opposerait à la ratification du Traité d’Amsterdam, traité qui aggravait les dispositions de celui de Maastricht. Pourtant, une fois nommé, il revint sur cette promesse… Mais ce ne fut qu’un début.
Ce fut le début de la grande casse des services publics. Jamais un gouvernement – même de « droite » - n’aura autant privatisé. Et pire, en signant en 2000 les accords de Lisbonne, et en 2002 les accords de Barcelone, il promettait la libéralisation de l’électricité, du gaz, de la poste, des transports,… Et pendant ce temps-là, il alla enterrer un peu plus la République, en signant de nouvelles dispositions pour la Corse avec des ethno-nationalistes qui ne représentaient absolument rien… Et pendant ce temps-là, en bon vassal, il envoya nos troupes soutenir les guerres américaines en Bosnie et en Afghanistan.
En 2002, il avait tellement désespéré l’électorat populaire qu’il ne passa même pas le premier tour… Et le Parti Socialiste, au lieu de s’interroger sur les causes d’un tel désastre, préféra se contenter de querelles personnelles et marginales.
Pire encore, la majeure partie de ses cadres – à l’instar de ceux de l’UDF et de l’UMP - se prononça en faveur du Traité Constitutionnel européen, gravant dans le marbre l’orientation libérale et supranationale de l’Europe.
Là non plus, son rejet par les français ne changea absolument rien. L’année suivante, le Parti Socialiste plaça Ségolène Royal comme candidate à la présidentielle. Armée de beaux discours volontaristes et républicains, elle nous promettait rien de moins que le « changement ». Mais les français, lassés de désillusions, ne prirent pas le risque de lui accorder leur confiance. Et là non plus, aucune leçon, aucune remise en cause sérieuse n’est sortie de cette nouvelle défaite.
Et comme toujours quand il n’est pas au pouvoir, le Parti Socialiste joue aujourd’hui à la grande opposition populaire et républicaine. On se prétend être une alternative. On s’indigne de la casse du modèle social français par Sarkozy. Mais on oublie qu’en ne reniant rien de tous les accords et traités européens soutenus par son parti depuis plus de vingt ans, on n’a en réalité AUCUNE crédibilité à le faire.
Accepter la construction européenne actuelle, c’est accepter une seule et même ligne idéologique : celle du libéralisme. Dans le cadre de cette construction européenne, aucune politique pleinement socialiste, aucune politique pleinement républicaine, n’est donc possible à mener.
Que peut bien alors séparer le Parti Socialiste de l’UDF-Modem et de l’UMP quand ces partis se sont prononcé tous les trois en faveur du Traité Constitutionnel Européen ?
Des détails. Des nuances.
Les velléités de « changement » de Madame Royal n’ont donc été qu’une illusion de plus de la part de cette véritable machine à illusions qu’est – depuis plus de cinquante ans - le Parti Socialiste. Populaire et républicain dans les discours, le PS est dans la pratique un parti qui n’a servit que les intérêts des grands possédants, et de la grande finance internationale.
Par lâcheté, par confort et par sa politique illusionniste et compassionaliste, il a contribué – comme tous ses partis sociaux-démocrates « frères » – à l’édification d’un ordre néolibéral planétaire.
Rien de surprenant à ce que les messieurs Pascal Lamy et Dominique Strauss-Kahn soient aujourd’hui nommés à la tête d’institutions qui sont justement chargés de le maintenir. Loin d’être des réformateurs ou des révolutionnaires, ces « socialistes » -là ne sont que des marionnettes chargés encore et toujours d’être les cautions sociales, les bonnes consciences d’un système néolibéral assassin.
Rien d’étonnant non plus que d’ex-lieutenants de Mitterrand, éduqués au renoncement et à la roublardise, soient aussi peu enclin à résister aux appels de Sarkozy, un autre grand opportuniste.
Question : les socialistes sincères de ce parti accepteront-ils encore longtemps cet état de fait ?