Culture et mémoire républicaine

 

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25 février 2007 7 25 /02 /février /2007 23:14


"Dans notre France moderne, qu'est-ce donc que la République? C'est un grand acte de confiance. Instituer la République, c'est proclamer que des millions d hommes sauront tracer eux-mêmes la règle commune de leur action; qu'ils sauront concilier la liberté et la loi, le mouvement et l'ordre; qu'ils sauront se combattre sans se déchirer; que leurs divisions n'iront pas jusqu'à une fureur chronique de guerre civile, et qu'ils ne chercheront jamais dans une dictature passagère une trêve funeste et un lâche repos. Instituer la République, c'est proclamer que les citoyens des grandes nations modernes, obligés de suffire par un travail constant aux nécessités de la vie privée et domestique, auront cependant assez de temps et de liberté d'esprit pour s'occuper de la chose commune. Et si cette République surgit dans un monde monarchique encore, c'est assurer qu'elle s'adaptera aux conditions compliquées de la vie internationale, sans entreprendre sur l'évolution plus lente des autres peuples, mais sans rien abandonner de sa fierté juste et, sans atténuer l'éclat de son principe.

Oui, la République est un grand acte de confiance et un grand acte d'audace. L'invention en était si audacieuse, si paradoxale, que même les hommes hardis qui, il y a cent dix ans, ont révolutionné le monde, en écartèrent d'abord l'idée. Les constituants de 1789 et de 1791, même les législateurs de 1792 croyaient que la monarchie traditionnelle était l'enveloppe nécessaire de la société nouvelle. Ils ne renoncèrent à cet abri que sous les coups répétés de la trahison royale. Et quand enfin ils eurent déraciné la royauté, la République leur apparut moins comme un système prédestiné que comme le seul moyen de combler le vide laissé par la monarchie. Bientôt cependant, et après quelques heures d'étonnement et presque d'inquiétude, ils l'adoptèrent de toute leur pensée et de tout leur coeur. Ils résumèrent, ils confondirent en elle toute la Révolution. Et ils ne cherchèrent point à se donner le change. Ils ne cherchèrent point à se rassurer par l'exemple des républiques antiques ou des républiques helvétiques et italiennes. Ils virent bien qu'ils créaient une oeuvre, nouvelle, audacieuse et sans précédent. Ce n'était point l'oligarchique liberté des républiques de la Grèce, morcelées, minuscules et appuyées sur le travail servile. Ce n'était point le privilège superbe de servir la république romaine, haute citadelle d'où une aristocratie conquérante dominait le monde, communiquant avec lui par une hiérarchie de droits incomplets et décroissants qui descendait jusqu'au néant du droit, par un escalier aux marches toujours plus dégradées et plus sombres, qui se perdait enfin dans l'abjection de l'esclavage, limite obscure de la vie touchant à la nuit souterraine. Ce n'était pas le patriciat marchand de Venise et de Gênes. Non c'était la République d'un grand peuple où il n'y avait que des citoyens et où tous les citoyens étaient égaux. C'était la République de la démocratie et du suffrage universel. C'était une nouveauté magnifique et émouvante.

Les hommes de la Révolution en avaient conscience. Et lorsque dans la fête du 10 août 1793, ils célébrèrent cette Constitution, qui pour la première fois depuis l'origine de l'histoire organisait la souveraineté nationale et la souveraineté de tous, lorsque artisans et ouvriers, forgerons, menuisiers, travailleurs des champs défilèrent dans le cortège, mêlés aux magistrats du peuple et ayant pour enseignes leurs outils, le président de la Convention put dire que c'était un jour qui ne ressemblait à aucun autre jour, le plus beau depuis que le soleil était suspendu dans l'immensité de l'espace Toutes les volontés se haussaient pour être à la mesure de cette nouveauté héroïque. C'est pour elle que ces hommes combattirent et moururent. C'est en son nom qu'ils refoulèrent les rois de l'Europe. C'est en son nom qu'ils se décimèrent. Et ils concentrèrent en elle une vie si ardente et si terrible, ils produisirent par elle tant d'actes et tant de pensées, qu'on put croire que cette République toute neuve, sans modèle comme sans traditions, avait acquis en quelques années la force et la substance des siècles. Et pourtant que de vicissitudes et d'épreuves avant que cette République que les hommes de la Révolution avaient crue impérissable soit fondée enfin sur notre sol. Non seulement après quelques années d'orage elle est vaincue, mais il semble qu'elle s'efface à jamais et de l'histoire et de la mémoire même des hommes. Elle est bafouée, outragée; plus que cela, elle est oubliée. Pendant un demi-siècle, sauf quelques coeurs profonds qui gardaient le souvenir et l'espérance , les hommes, la renient ou même l'ignorent. Les tenants de l'ancien régime ne parlent d'elle que pour en faire honte à la Révolution : "Voilà où a conduit le délire révolutionnaire". Et parmi ceux qui font profession de défendre le monde moderne, de continuer la tradition de la Révolution, la plupart désavouent la République et la démocratie. On dirait qu'ils ne se souviennent même plus. Guizot s'écrie : "Le suffrage universel n'aura jamais son jour". Comme s'il n'avait pas eu déjà ses grands jours d'histoire, comme si la Convention n'était pas sortie de lui. Thiers, quand il raconte la révolution du 10 août , néglige de dire qu'elle proclama le suffrage universel, comme si c'était là un accident sans importance et une bizarrerie d'un jour. République, suffrage universel, démocratie, ce fut, à en croire les sages, le songe fiévreux des hommes de la Révolution. Leur oeuvre est restée, mais leur fièvre est éteinte et le monde moderne qu'ils ont fondé, s'il est tenu de continuer leur oeuvre, n'est pas tenu de continuer leur délire. Et la brusque résurrection de la République, reparaissant en 1848 pour s'évanouir en 1851, semblait en effet la brève rechute dans un cauchemar bientôt dissipé.

Et voici maintenant que cette République qui dépassait de si haut l'expérience séculaire des hommes et le niveau commun de la pensée que quand elle tomba ses ruines mêmes périrent et son souvenir s'effrita, voici que cette République de démocratie, de suffrage universel et d'universelle dignité humaine, qui n'avait pas eu de modèle et qui semblait destinée à n'avoir pas de lendemain, est devenu la loi durable de la nation, la forme définitive de la vie française, le type vers lequel évoluent lentement toutes les démocraties du monde.

Or, et c'est là surtout ce que je signale à vos esprits, l'audace même de la tentative a contribué au succès. L'idée d'un grand peuple se gouvernant lui-même était si noble qu'aux heures de difficulté et de crise elle s'offrait à la conscience de la nation. Une première fois en 1793 le peuple de France avait gravi cette cime, et il y avait goûté un si haut orgueil, que toujours sous l'apparent oubli et l'apparente indifférence, le besoin subsistait de retrouver cette émotion extraordinaire. Ce qui faisait la force invincible de la République, c'est qu'elle n'apparaissait pas seulement de période en période, dans le désastre ou le désarroi des autres régimes, comme l'expédient nécessaire et la solution forcée. Elle était une consolation et une fierté. Elle seule avait assez de noblesse morale pour donner à la nation la force d'oublier les mécomptes et de dominer les désastres. C'est pourquoi elle devait avoir le dernier mot. Nombreux sont les glissements et nombreuses les chutes sur les escarpements qui mènent aux cimes; mais les sommets ont une force attirante. La République a vaincu parce qu'elle est dans la direction des hauteurs, et que l'homme ne peut s'élever sans monter vers elle. La loi de la pesanteur n'agit pas souverainement sur les sociétés humaines; et ce n'est pas dans les lieux bas qu'elles trouvent leur équilibre. Ceux qui, depuis un siècle, ont mis très haut leur idéal ont été justifiés par l'histoire.

Et ceux-là aussi seront justifiés qui le placent plus haut encore. Car le prolétariat dans son ensemble commence à affirmer que ce n'est pas seulement dans les relations politiques des hommes, c'est aussi dans leurs relations économiques et sociales qu'il faut faire entrer la liberté vraie, l'égalité, la justice. Ce n'est pas seulement la cité, c'est l'atelier, c'est le travail, c'est la production, c'est la propriété qu'il veut organiser selon le type républicain. A un système qui divise et qui opprime, il entend substituer une vaste coopération sociale où tous les travailleurs de tout ordre, travailleurs de la main et travailleurs du cerveau, sous la direction de chefs librement élus par eux, administreront la production enfin organisée."


Extrait du Discours à la Jeunesse prononcé par Jean Jaurès au lycée d'Albi en 1903
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23 septembre 2006 6 23 /09 /septembre /2006 21:01

Par Dominique Rondelot


"Nobody is perfect"

Robespierre ne saurait déroger à cette règle...

En revanche, il fut tant accablé de tous les maux de la Révolution, qu’un juste plaidoyer en sa faveur sera toujours nécessaire.

Robespierre était un dictateur, il était sanguinaire et c’est lui qui a institué la Terreur. Robespierre était un extrémiste, il se prenait pour Dieu et a fait fermer les églises. Robespierre était Franc-Maçon. Robespierre, c’était la guillotine et il a fait éliminer tous ses amis Robespierre a commis ou a fait commettre les pires atrocités partout en France.

Bouh ! Qu’il était méchant le vilain Robespierre !

Au « Catalogue des Idées Reçues », figure à la rubrique « Révolution française », un personnage qui le plus souvent détient une réputation exécrable. Il s’agit de Maximilien Robespierre.

A la simple évocation de son nom, la première image qui vient à l’esprit à bon nombres de nos congénères, c’est la terrifiante guillotine. Par analogie, Robespierre semble être pour l’éternité lié à la Terreur, la répression, la dictature, la destruction des églises.

Les idées reçues naissent le plus souvent par la rumeur, les non-dits et les diffamations de toutes sortes. Pour ce qui concerne Robespierre, les attaques incessantes dont il fut l’objet finirent par forger les esprits et, la remarquable propagande thermidorienne, "le venin thermidorien", toutes les calomnies et la légende du gendarme Merda, achevèrent de salir pour longtemps la mémoire de ce grand Homme de l’An II.

Par malheur, l’école de la République, troisième du nom, plus soucieuse de fédérer ses enfants, de quelque lieu qu’ils soient en France, et d’endoctriner ceux qui allaient fournir la « chair à canon des Tranchées de 1914 », préféra user et abuser des « Images d’Epinal » et continua ainsi à véhiculer dans ses manuels scolaires, omissions et contre vérités.

La plupart des grandes figures de 1789, et là, c’est bien de l’année dont il s’agit, ont bénéficié d’une sympathie particulière, incarnant, d’une certaine façon, la « Révolution bleu – blanc – rouge ». Robespierre lui, s’est vu attribuer le symbole d’une période de notre Histoire plutôt « bleu – vert –rouge », bleue comme la lame de la guillotine, vert comme la peur et rouge comme le sang.

Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose. Ainsi, Robespierre, Saint-Just, Couthon et beaucoupo d’autres encore furent-il condamné sans procès. La Terreur blanche fut elle aussi sanguinaire !

Guillotine donc,

On a intimement lié Robespierre à cette machine à tuer. Une estampe thermidorienne l’a même représenté en train d’exécuter le bourreau alors que ce dernier venait d’occire la France entière. La chose est d’autant plus injuste que ce fut Robespierre qui réclama le premier l’abolition de la peine de mort et ceci, dès 1790 ! Sa démarche était innovatrice, à une époque où le peuple avait l’habitude de voir des gens roués vifs, écartelés, pendus ou encore décapités à la hache, sur la place publique. Robespierre intervint de nombreuses fois à la tribune de la Constituante pour défendre son point de vue, mais il n’obtint jamais gain de cause Il refusa toujours de lâcher en pâture aux exécuteurs, les soixante-treize députés Girondins, qui furent ainsi épargnés et les exemples de ce genre furent nombreux. Ceci étant, l’on ne pourra m’empêcher de condamner la terrible Loi de Prairial et surtout la manière dont fut contrôlée sa mise en application !

Terreur donc,

Ce système politique fut instauré par Barère, et non par Robespierre, sous la pression des ultra révolutionnaires, « Enragés », « Hébertistes », mais également Marat qui réclamait pas moins de « vingt-cinq mille têtes pour épurer la Révolution. En jetant les "Droits de l'Homme et du Citoyen" aux orties ; la Terreur tentait de répondre aux exigences politiques, économiques, civiles et militaires. Il s’agissait de sortir la France de la situation critique où elle se trouvait à cause de la guerre. Or justement cette guerre, Robespierre avait, presque seul, annoncé les dangers qu’elle représenterait pour la Révolution. Il consacra cinq mois de sa vie politique pour empêcher que la France ne s’abîme dans les vicissitudes belliqueuses. Visionnaire, Robespierre avait pressenti le danger qui allait très vite menacer la démocratie naissante. Malheureusement, ses craintes furent rapidement confirmées par les revers militaires, les trahisons de La Fayette puis de Dumouriez et la Terreur en fut une des terribles conséquences et la pénurie qui engendra disette et famine exacerbèrent les plus extrémistes.

Répression donc,

Véritable « gâchis historique », la Révolution telle qu’elle fut menée, engendra la contre révolution. Certains Représentants en mission, cupides, vénaux et exaltés, se conduisirent en ignobles bourreaux et commirent d’innombrables exactions. La France a conservé ses terribles souvenirs en sa mémoire collective. Pour l’opinion publique, toutes ces atrocités c’était la Terreur, donc s’était Robespierre. Pourtant, ce fut bien Robespierre qui fit revenir à Paris, Barras et Fréron, exécuteurs à Toulon et Marseille, Collot d’Herbois, mitrailleur à Lyon et Carrier, assassin sadique à Nantes. Robespierre considérait ces individus comme « des proconsuls, gavés de sang et de rapines ».

Déchristianisation donc,

L’apogée du mouvement de déchristianisation eut lieu à l’automne 1793. L’on de défroqua, l’on détruisit les édifices religieux, l’on pourchassa les prêtres et l’on entreprit de transformer l’athéisme même en nouvelle religion. Même l’évêque Gobel vint déposer ses insignes épiscopaux devant la tribune de la Convention ! Robespierre condamna cette dérive intolérante et revendiqua la liberté de croire ou non. Tous ceux qui avaient souhaité la Révolution, à l’instar des Voltairiens, pour anéantir la religion, ne lu pardonnèrent jamais pas plus qu’ils ne purent lui pardonner quelques mois plus tard, l’instauration d’une sorte de religion d’Etat, le Culte de l’Etre Suprême. Tous ceux-là étaient de futurs Thermidoriens…

Dictature donc,

Le Comité de Salut Public, créé par Danton, et non par Robespierre, fonctionnait avec douze membres. Après la mort de Robespierre et ses amis Saint-Just et Couthon, il fut aisé pour les vainqueurs du Coup d’Etat de Thermidor de déclarer « ce n’était pas nous, c’étaient eux » ou encore « C’est Robespierre qui dirigeait tout, c’était un dictateur ». Troublante attitude pour un dictateur, que celle qu’eut Robespierre qui, après une énième dispute avec la frange extrémiste du Comité (Collot d’Herbois, Billaud-Varrenne), abandonna la vie politique durant huit semaines et s’en alla se promener avec son chien dans les allées du bois qui se situait à l’emplacement actuel des Champs Elysées. « Ils m’appellent tyran… Si je l’étais, ils ramperaient à mes pieds, je les gorgerais d’or, je leur assurerais le droit de commettre tous les crimes et ils seraient reconnaissants » déclara Robespierre dans son dernier discours du 8 Thermidor An II.

Pourtant, Robespierre, l’Incorruptible

Toutefois, Robespierre laissa une marque positive dans l’Histoire, son incorruptibilité et son désintéressement furent unanimement reconnus. Inlassablement, il défendit la notion de vertu, que ce fût au niveau politique ou bien au niveau social. Pourtant, de nos jours, le mot "vertu" fait sourire, si même il ne fait pas peur !

Dés le début de la Révolution, le vénal Mirabeau, « la Torche de Provence », avait dit à propos de « la Chandelle d’Arras » : « On ne peut acheter cet homme, il n’a besoin de rien ». Pourtant, Robespierre avait besoin d’une chose, lui qui avait, selon son propre aveu, infiniment d’amour propre, trop sans doute, ne fut pas assez compris par ses contemporains et, ses désirs d’assistance aux indigents et aux vieillards, de laïcisation, de fraternité raciale et sociale, de suffrage universel, sa lutte contre l'esclavage, etc… ne relevèrent malheureusement à cette époque, seulement du domaine de l’utopie. En fait, Robespierre avait un, et même parfois deux siècles d’avance sur son temps ! Une chose est regrettable, il manque de pédagogie et de charisme pour faire avancer un peu plus ses idées.

« Plaider la cause du faible contre le fort qui l’exploite et l’écrase, c’est le devoir de tout cœur, que l’égoïsme et la corruption n’ont pas gangrenés. Pour moi, la tâche de ma vie sera de secourir ceux qui souffrent et de poursuivre de ma parole vengeresse ceux qui, sans pitié pour l’humanité, se font un plaisir et une joie des souffrances d’autrui. Trop heureux si mes faibles efforts sont couronnés de succès et si, pour prix de mon dévouement et de mes sacrifices, ma mémoire n’est pas ternie par les calomnies des oppresseurs que j’aurais combattus. »

Ce que Robespierre avait pressenti, s’avéra être une terrible prophétie…

 

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