Culture et mémoire républicaine

 

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1 mars 2009 7 01 /03 /mars /2009 22:27


Nombre de rues de notre pays portent son nom, et pourtant Léon Gambetta reste encore aujourd’hui un homme politique méconnu. De sa courte existence – il mourra à 44 ans -, il n’en aura pas moins laissé une trace indélébile dans l’histoire de France. C’est lui, le fils d’un petit épicier italien, qui, en 1870, refusant la défaite face à la Prusse, incarne le sursaut moral de la patrie. C’est lui, aussi, qui pèse de tout son poids, et avec succès, pour rallier les Français à la République, après près de quatre-vingts ans d’imperturbables remous.

 

 

Léon Gambetta naît le 2 avril 1838 à Cahors, dans le département du Lot. Son père, un émigré génois, tient une épicerie, au « Bazar génois », qui lui permet d’assurer à sa famille de modestes revenus. Physiquement fragile – il est souvent malade, et aura le malheur, à l’âge de onze ans, de perdre son œil gauche à la suite d’un accident – il n’en est déjà pas moins intellectuellement très costaud. Il effectue brillamment ses études au petit séminaire, puis au Lycée de Cahors. Ayant obtenu son Baccalauréat en 1857, il monte à Paris s’inscrire à la faculté de droit, au grand regret de son père qui aurait aimé qu’il lui succède à l’épicerie. Son grand rêve d’alors, être avocat. Acquis aux idées républicaines très tôt, l’étudiant va fréquenter avec assiduité les cercles républicains parisiens, qui se réunissent alors dans le Quartier latin au café Voltaire. Entre-temps, Léon Gambetta opte en 1859 la nationalité française, preuve alors d’un amour déjà sans borne pour la France. Ayant obtenu en 1860 sa licence, il fait profession d’avocat et s’inscrit au barreau de Paris.

 

Accepté, en tant que jeune avocat, à la Conférence Molé, il devient le collaborateur d'Adolphe Crémieux et se lie avec Clément Laurier et Jules Ferry. Il se rapproche également des députés de l'opposition : Jules Favre, Émile Ollivier, Ernest Picard, Alfred Darimon et Louis Hénon. Peu à peu, il va acquérir une certaine notoriété, par son tempérament fougueux et son exceptionnel talent d’orateur.

 

 

L’impitoyable opposant au Second Empire

 

En 1868, l’avocat Gambetta défend le républicain Delescluze, inculpé d’avoir ouvert une souscription publique dans son journal afin d’ériger un monument à la mémoire de Baudin, député de la IIe République, mort sur une barricade du faubourg Saint-Antoine, le 3 décembre 1851, en tentant de s’opposer au coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte. Sa plaidoirie, superbe, du 14 novembre 1868, est l’occasion pour lui de faire publiquement le procès du Second Empire et de son origine funeste. Delescluze sera finalement condamné – à six mois de prison -, mais son réquisitoire enflammé va avoir un retentissement énorme. Elle va faire de lui le grand leader charismatique qui manque alors à un parti républicain amorphe.   

 

Gambetta se présente aux élections législatives de mai 1869, à Marseille et à Paris, dans la première circonscription de la Seine. Circonscription dont le centre est le quartier populaire de Belleville, habitée par des commerçants, des artisans et des ouvriers de petites entreprises. Il y prononce notamment un discours resté célèbre sous le nom de « Programme de Belleville ». Il se montre alors favorable à des mesures radicales. Il milite ainsi pour la liberté complète de la presse et la séparation de l’Église et de l’État. Et souhaite l’instauration de l’impôt sur le revenu et l’élection des fonctionnaires. Léon Gambetta est élu dans ces deux villes. A Paris en devançant Hippolyte Carnot, et à Marseille Adolphe Thiers.

 

Au Corps Législatif, il galvanise encore l’opposition républicaine, plus remonté et plus intransigeant que jamais face à l’Empire, et ses nouveaux convertis du tournant « libéral », tel Ollivier. La même année, il fonde, avec Brisson et Challemel ¬Lacour, la « Revue politique », un journal d’opposition.

 

Le 3 septembre 1870, à l’annonce de la défaite de Sedan, il fait partie des députés républicains qui se prononcent pour la déchéance de Napoléon III. Le Corps législatif s'y étant opposé, le lendemain, la foule des Parisiens envahit le Palais-Bourbon où Gambetta annonce la fin du Second Empire. Plus tard, à l'Hôtel-de-Ville et en compagnie de Jules Ferry et de Jules Favre, il proclame la République.

 

 

Le chef de la résistance aux Prussiens

 

Un Gouvernement de Défense nationale se forme alors, avec à sa tête le général conservateur Trochu, et dans lequel Gambetta est nommé ministre de l'Intérieur. Sans expérience du pouvoir jusque là, il se montre pourtant d’une maturité exemplaire, se révélant être un formidable homme d’Etat. Partisan de la guerre à outrance face à la Prusse, il quitte Paris assiégé en ballon, le 7 octobre. Il s’installe à Tours, à la tête d’une Délégation gouvernementale chargé de coordonner la défense du territoire. Cumulant sa fonction avec celle de ministre de la Guerre, il procède avec courage et ténacité à la levée de nouvelles troupes, et se comporte en véritable « dictateur », au sens antique du terme. Il tente ainsi de secourir la capitale. Il nomme le général Faidherbe à la tête de l’armée du Nord et encourage les soldats et les généraux dans leur combat. Surtout, il appelle solennellement les politiques et l’ensemble des Français à refuser tout défaitisme, et à participer activement à la défense du territoire.

 

Un temps, le redressement de la situation militaire semble se profiler. Les troupes prussiennes sont en effet à deux doigts de battre en retraite. Mais tous ses efforts seront, au final, vains. Les Prussiens ne reculeront plus, bien au contraire, alors qu’à Lyon et dans le Midi Gambetta doit faire face à des insurrections. Tours étant elle-même menacé par l’ennemi, la délégation finit par se replier à Bordeaux. Le 20 janvier 1871, Paris capitule, déconvenue de trop pour les conservateurs, Adolphe Thiers en tête, qui souhaitent à présent mettre un terme au conflit. Le 28 janvier, l'armistice est conclu, au plus grand désarroi de Gambetta.

 

Le 8 février 1871, des élections législatives sont organisées, le chancelier allemand Bismarck souhaitant traiter avec un gouvernement légitime. Sa motion demandant que les anciens dignitaires du Second Empire soient inéligibles n’étant pas retenue, Gambetta démissionne.

Il se présente à ces élections, qui donneront une assemblée monarchiste favorable à la paix, et où il sera élu député du Bas-Rhin. Quelques semaines plus tard, alors que les terribles préliminaires de paix sont signés à Versailles, il quitte l’Assemblée parmi les députés de l’Alsace-Lorraine cédée à l’Empire allemand. Malade, Léon Gambetta se retire en Espagne, à Saint-Sébastien, d’où il ne reviendra qu’après la Commune.


 

 

 

Le « commis voyageur de la démocratie »

 

Il effectue cependant un rapide retour à la vie politique. Le 2 juillet 1871, Léon Gambetta est élu député de la Seine, lors d'un scrutin complémentaire, et va siéger désormais à l’extrême-gauche, puis à la tête de l’« Union républicaine ». Le 5 novembre de la même année, paraît le premier numéro d’un journal qu’il vient de fonder, « La République française ». Un journal qui va très vite devenir l’un de ses instruments majeurs de combat politique.

 

En effet, au cours de ces premières années d’indécisions sur la future nature du régime – du fait des divisions des monarchistes -, Léon Gambetta va mener une véritable lutte acharnée pour instaurer durablement la République.

 

Habile politiquement, légaliste, il comprend la nécessité de donner de cette République une image rassurante d’ordre et de stabilité, plutôt que de fomenter des insurrections sans lendemains.

 

Il effectua ainsi nombre de voyages en province, où il prononça de très nombreux discours - onze volumes les répertoriant seront publiés à partir de 1881. Orateur exceptionnel, doué d’un charisme hors du commun, Gambetta va devenir immensément populaire, au point d’avoir une influence décisive, capable de retourner progressivement l’opinion vers la République.

Surnommé le « commis voyageur de la démocratie », ses discours auront toujours d’énormes retentissements. Ainsi de celui prononcé à Grenoble, le 26 septembre 1872, où l’orateur prédit et proclame l’avènement des « couches nouvelles », ces classes moyennes appelées à jouer désormais un rôle politique. Indéniablement, il conquit la confiance de ces dernières, permettant ainsi d’asseoir socialement le régime. 

 

Aussi, féroce stratège, il met tout son poids dans les multiples élections législatives partielles qui ont lieu jusqu’en 1876 pour envoyer un maximum de républicains à l’Assemblée Nationale. Inventeur des campagnes électorales modernes, il fait triompher le parti républicain à chacune des élections, qui, à défaut de ne pas être encore majoritaire, a toutefois une assise morale incontournable.

 

Durant ces années, Léon Gambetta n’aura négligé aucun champ de bataille dans sa lutte pour l’établissement de la République. Ainsi, comme le résume Georges Wormser, l’un de ses biographes, il aura « tout mené de front: les interventions à l'Assemblée, l'étude en commission, les tournées, la préparation détaillée de chaque élection partielle, le journalisme, les banquets et l'assiduité dans les salons politiques, la correspondance qui entretient le contact avec les amis. Par là, il [a été] prodigieux. »

 

A l’Assemblée, le talent oratoire de Gambetta ne se démentira jamais, se révélant un virtuose des joutes parlementaires, capable à lui tout seul de faire basculer un vote. « La persuasion même », selon Gabriel Hanoteaux, un de ses partisans.

 

Pragmatique, il y soutiendra alors le chef de l’exécutif, Adolphe Thiers, qui, se prononçant de plus en plus clairement en faveur de la République, apparaît comme le meilleur rempart face aux monarchistes. Son éjection en 1873, et son remplacement par Mac-Mahon, monarchiste notoire élu pour sept ans, s’accompagnant d’une poussée de fièvre réactionnaire – l’ « Ordre Moral » -, n’accablera pourtant pas Gambetta et ses partisans. L’heure de la République va bientôt sonner, Gambetta en est persuadé.

 

 

Le « héraut de la République »

 

C’est chose faite lorsqu’au mois de février 1875, après plusieurs rétablissements manqués de la monarchie, la République est finalement reconnue comme le régime politique de la France par le vote des Lois constitutionnelles. Au prix d’un compromis – Présidence de la République, bicamérisme et existence du Sénat - qu’ulcère l’extrême-gauche mais que Gambetta juge nécessaire et appui de tout son poids. Conçue comme une entorse au suffrage universel – 75 de ses membres sont d’ailleurs nommés à vie -, cette chambre haute peut constituer selon lui une sorte de grand conseil des communes de France.

 

Les élections législatives de 1876 sont un triomphe pour les républicains. Majoritaires, ils sont pourtant ignorés par Mac-Mahon, qui ne leur confie peu ou pas du tout de responsabilités ministérielles. Réélu député de la Seine, Gambetta fustige son attitude, et lutte contre lui et sa politique avec acharnement. Le 6 mai 1877, Léon Gambetta s’écrie à la tribune de la Chambre son célèbre « le cléricalisme, voilà l’ennemi ! », dénonçant le conservatisme ambiant soutenu par l’Eglise catholique. L’affrontement culmine lors de la crise du 16 mai 1877. Convoquant de nouvelles élections, le tribun républicain indique au Président de la République, au cours d’une réunion politique à Lille le 15 août suivant, l’alternative qui s’offre à lui : « Se soumettre ou se démettre ». Ce qui lui vaudra d'être condamné par défaut, le 10 septembre suivant, à trois mois de prison et 2 000 Francs d'amende pour « offense au chef de l'État ».

 

Ces élections sont un nouveau triomphe pour les républicains, triomphe que les autorités d’alors ont tenté d’enrailler, se livrant à de nombreuses irrégularités. Mais Mac-Mahon refuse toujours de prendre en compte l’hégémonie républicaine à la Chambre. La situation est bloquée. Le pays est au bord de la guerre civile. On craint un coup de force, que Mac-Mahon ne peut effectuer, l’armée n’étant pas disposé à le suivre. Il finit alors par se « soumettre », et à confier le gouvernement à des républicains.

 

Gambetta en est cependant mis à l’écart, tant par l’hostilité de Mac-Mahon que par le refus des républicains « opportunistes », qui redoutent de devoir s’effacer devant sa popularité et son autorité. Gambetta n’en a pas moins une aura et une influence considérable à Chambre. Au mois de janvier 1879, Léon Gambetta est désigné comme Président de la Chambre des députés, une fonction honorifique qu’il occupe jusqu’en 1881.

 

Le 31 juillet 1879 il succède à la présidence de la Chambre des députés à Jules Grévy, élu Président de la République. Il rappelle alors que « la République enfin sortie victorieuse de la mêlée des partis devait entrer dans la période organisatrice et créatrice ».


 


 

 

L’ « opportuniste »

 

Détesté par la droite monarchiste, il s’est peu à peu aliéner l’extrême-gauche qui fustige son modérantisme, son « opportunisme ». En fin de compte, comme le rappela Joseph Reinach, l’un de ses plus proches collaborateurs, « les réactionnaires ne lui pardonnaient pas d’avoir créé la République, les intransigeants d’être un homme de gouvernement »

 

De cet « opportunisme », il s’en justifiera d’ailleurs à de nombreuses reprises, notamment dans un discours prononcé au Neubourg (Eure), le 4 septembre 1881 : « Il faut se garder de vouloir tout tenter à la fois. [La France] ne demande pas que toutes ces questions posées soient résolues : elle demande qu'on prenne une question, qu'on s'y attelle, qu'on l'étudie, qu'on la formule en projet de loi et qu'on la résolve enfin dans la législation. Quand une question sera résolue, la suivante se posera et, par les mêmes procédés d'examen, de volonté, de ténacité, on résoudra la seconde ; puis on passera à la troisième. Le succès du régime républicain, ce qui a amené l'adhésion, tous les jours grandissante, de ces masses rurales, de ces petits propriétaires, de ces bourgeois, de ces ouvriers sans lesquels vous ne pouvez ni vivre, ni gouverner (...), c'est que, depuis dix ans, l'ordre a régné non seulement dans la rue, mais dans les esprits. »

 

S’il fait donc preuve d’« opportunisme », ce n’est pour autant renoncer à ses principes. Bien au contraire. Ce « fou de République » (selon l’expression de l’historien Pierre Bimbaum) sera toujours un républicain exigeant, fidèle à ses promesses de liberté, d’égalité et de fraternité. Mais un républicain qui entend construire cette République avec l’assentiment du peuple, et non contre lui.

 

Il ne manquera jamais ainsi de fustiger et de se démarquer de ceux qui se réclament de l’« opportunisme» mais qui n’ont contrairement à lui n’ont qu’une révérence verbale vis-à-vis de la République. Il les définit ainsi comme les adeptes de la « République du minimum ». « Ce qui constitue la vraie démocratie, ce n'est pas de reconnaître des égaux, mais d'en faire» déclara-t-il un jour à l’Assemblée, soulignant son exigence social de républicain. Un Gambetta qui souhaitait même que la République française apparaisse « dans le monde comme la plus haute expression de l'esprit humain ».

 

 

A la tête du « Grand Ministère »

 

Le 14 novembre 1881, il est finalement appelé par Jules Grévy à la présidence du Conseil. Souhaitant constituer un « grand ministère » d’union, réunissant tous les grands chefs du mouvement républicain, il se voit confronter aux refus de Léon Say, Freycinet et Ferry, et se résigne alors à composer un cabinet constitué de membres jeunes et relativement peu connus.

 

Le nouveau cabinet, duquel Gambetta prendra les Affaires étrangères, marque plusieurs toutefois plusieurs innovations significatives. Ainsi, l’Agriculture vient un ministère à part entières. Les Colonies sont détachées de la Marine et rattachés au Commerce. Et est créé un ministère des Arts, destinée à répandre le goût de la culture et des arts dans les classes populaires.

 

Hélas pour Gambetta, le cabinet est renversé très rapidement, le 27 janvier 1882, soit soixante-quatorze journées à peine plus tard, suite au refus de l’Assemblée d’approuver un projet de réforme constitutionnelle traitant du mode de scrutin. Une Assemblée qui n’a au demeurant jamais apprécié la volonté de Gambetta de constituer un exécutif fort.

 

Gambetta et son gouvernement ne manquaient pourtant pas d’audacieux projets : réorganisation de la justice, réduction du service militaire, loi sur les associations, création d’institutions de prévoyance et d’assistance, réforme des sociétés financières, développement de l’instruction publique, réforme des rapports entre l’État et les Églises. Ces projets seront repris pour la plupart dans les gouvernements suivants. Ainsi des lois Ferry qui rendront l’école obligatoire et laïque, dont Gambetta reste l’inspirateur oublié.

 

Quelques mois plus tard, le 8 décembre 1882, alors replié chez lui, à la Maison des Jardies (à Ville-d’Avray, près de Sèvres), Léon Gambetta se blesse à la main avec son revolver. Officiellement, le coup est parti alors qu’il nettoyait l’arme. L’accident serait cependant plus vraisemblablement survenu lors d’une dispute avec sa maîtresse, Léonie Léon. Contraint à rester au lit pendant tout le mois, il finit par succomber à la suite d’une infection intestinale. Léon Gambetta décède le 31 décembre 1882. 

 

La Troisième République lui rend un hommage appuyé, le 6 janvier 1883, en organisant des obsèques nationales.

 


 

 

Gambetta devant l’histoire

 

Mort brusquement, Léon Gambetta laissera un grand vide à une IIIe République dont il restera, plus qu’un autre, l’âpre bâtisseur. De tous les hommes politiques de son époque, c'est lui qui restera le plus présent dans la mémoire collective du nouveau régime. Au point d’être considéré par beaucoup comme l’homme politique français le plus important du 19e siècle.

 

De Gambetta, l’histoire retiendra celui qui défendit avec véhémence la patrie en danger en 1870, sauvant un honneur dont les Poilus recevront le legs en 1914.

 

Elle retiendra aussi celui qui, en instaurant durablement la République, a été l’« accoucheur » de la Révolution française, après quatre-vingt ans d’instabilité politique et constitutionnelle.

 

Elle retiendra aussi un visionnaire, un homme politique qui savaient regarder vers le long terme. Celui qui sur bien des points – sa volonté de donner un rôle social à l’Etat, son attachement aux grands travaux, son souci d’une politique culturelle – était en avance sur son temps. Celui qui, lucide sur les questions internationales, conscient d’une prochaine confrontation européenne, souhaita bien avant les autres l’Entente cordiale et l’alliance franco-russe.

 

Ne dissociant jamais la République de la nation, il aura enfin cette singularité d’avoir inspirer des hommes politiques aussi différents que Clemenceau, Jaurès, de Gaulle et Mendès-France. Autant dire ce que la France a pu produire de meilleur.


 

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Bibliographie suggestive :


- Pierre Antonmattei, Gambetta, Héraut de la République, Michalon, 1999
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4 février 2009 3 04 /02 /février /2009 22:40


Le 4 février 1794 (16 pluviôse an II), la Convention Nationale vote l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises. C’est une grande première dans l’histoire de l’humanité, et la fin d’un âpre débat qui a divisé les révolutionnaires depuis la fameuse nuit du 4 août 1789.


 

« DECRET N° 2262. DE LA CONVENTION NATIONALE


du 16. jour Pluviose, an second de la République Française, une & indivisible,


Qui abolit l’Esclavage des Nègres dans les Colonies

La Convention Nationale déclare que l’esclavage des Nègres dans toutes les Colonies est aboli ; en conséquence elle décrète que les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens Français, & jouiront de tous les droits assurés par la constitution. Elle renvoie au comité de salut public, pour lui faire incessamment un rapport sur les mesures à prendre pour assurer l’exécution du présent décret. »


C’est en ces termes, et dans un enthousiasme indescriptible, que la Convention Nationale décide d’abolir l’esclavage dans les colonies le 16 pluviôse an II (4 février 1794). 


C’est à cet instant la fin d’un âpre débat qui a profondément divisé les révolutionnaires depuis la nuit du 4 août 1789. Entre ceux qui, par souci des intérêts financiers aux colonies, sont opposé à l’abolition, et les humanistes abolitionnistes - regroupés au sein de la « Société des amis des Noirs », tels que l’abbé Grégoire, Brissot, Robespierre et Condorcet.

 

Lors de la nuit du 4 août 1789, qui vit l’abolition des privilèges féodaux, le duc de La Rochefoucauld-Liancourt est ainsi bien seul quand il s’offusque que le principe d’égalité devant la loi ne soit pas étendu aux esclaves.

 

Et pendant plus de trois ans, les efforts des abolitionnistes resteront vains.

 

Ainsi, quand, le 8 mars 1790, l’Assemblée Constituante adopte sans vote un décret qui maintient l’esclavage, suivant les recommandations des colons blancs, des Noirs affranchis et des mulâtres, qui y sont tous favorables. Seul, sur son banc, un député, répondant au nom de Maximilien de Robespierre s’insurgea : « Les Droits de l’Homme sont encore bafoués ! »

 

Ainsi, quand, en mai 1791, un débat très rude a lieu à l’Assemblée Constituante lors de la discussion d’un décret visant à octroyer le droit de vote aux seuls Noirs libres, nés eux-mêmes de parents libres. Malgré l’appui de Sieyès et  les brillantes harangues de Robespierre, l’Assemblée refuse toute extension des « droits de l’humanité » aux esclaves noirs.

 

Ainsi, quand, le 28 mars 1792, l'Assemblée législative se contente d'établir une égalité de droit entre tous les « hommes libres », mettant à nouveau à l’écart les esclaves…


Au côté de ce mouvement intellectuel, qui tire sa légitimité des Lumières, un mouvement d’émancipation des esclaves eux-mêmes se développe durant la Révolution. Sa puissance sera déterminante dans le basculement des députés de la Convention au sujet de l’abolition. C’est ainsi qu’en 1793, à Saint-Domingue, la principale et la plus riche des colonies françaises, un violent soulèvement des affranchis et esclaves s’opère et qui pousse le commissaire de la République, Léger-Félicité Sonthonax, à proclamer la liberté des esclaves le 4 septembre.


Les trois représentants de Saint-Domingue à l’Assemblée, Louis-Pierre Dufay (blanc) Jean-Baptiste Mills (mulâtre libre) et Jean-Baptiste Belley (ancien esclave), vont jouer un grand rôle pour rallier les députés les plus rétifs à l’abolition, alors qu’un nouveau débat sur le sujet va avoir lieu à la Convention.

C’est ainsi qu’après des péripéties incroyables pour traverser un océan Atlantique tenu par la flotte anglaise, ils montent ensemble à la tribune de l’Assemblée, le 4 février 1794. Dufay demande de valider la décision prise par Sonthonax et affirme que tous les Noirs de Saint-Domingue ont juré fidélité à la France républicaine.


Cette proposition est accueillie par une réaction émotive d’applaudissements ininterrompus qui limite les possibilités de contradiction. Levasseur, député de la Sarthe, augmente encore l’enthousiasme de la Convention par une déclaration favorable, avant que Lacroix ne s’écrie : « Président ! Ne souffre pas que la Convention se déshonore par une plus longue discussion. »


L’assemblée se lève tout entière, et Vadier, son président, au milieu d’acclamations révolutionnaires, proclame l’abolition de l’esclavage.


En plus du décret, il est décidé de l’ajout d’un nouvel article à la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1793. L’article 18 stipule ainsi que « Tout homme peut engager ses services, son temps ; mais il ne peut se vendre, ni être vendu ; sa personne n’est pas une propriété aliénable. La loi ne reconnaît point de domesticité ; il ne peut exister qu’un engagement de soins et de reconnaissance, entre l’homme qui travaille et celui qui l’emploie. »

Pourtant, les discours auront bien du mal à être suivi d’actes concrets.  Alors que Saint-Domingue et la Martinique vont être envahies par les Anglais sitôt l’abolition prononcée, le décret ne sera en définitive appliqué qu'en Guadeloupe, avant d'être finalement abrogé par le Premier Consul en 1802...


Il faudra attendre le 27 avril 1848, et un décret signé par Victor Schoelcher, député de la Martinique et de la Guadeloupe, sous-secrétaire d’Etat à la Marine, pour mettre un terme définitif à l’esclavage dans les colonies françaises.

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