Le 4 septembre 1870, à l'annonce de la capture de Napoléon III par les Prussiens à Sedan, une foule de Parisiens envahit le Palais-Bourbon, siège du Corps Législatif, qui se résout à déchoir l'empereur et à proclamer la République, la troisième du nom.
De nombreuses rues en France portent le nom du « Quatre Septembre ». Pourtant, peu d'entre nous connaissent la signification de cette date, qui marque la naissance d'une République qui aura tant accomplie, des conquêtes laïques des Ferry et Briand aux conquêtes sociales du Front Populaire, en passant par l'affirmation de la démocratie et des libertés individuelles.
Un peu d'histoire.
L'année 1870 ne laissait pourtant pas présager d'un tel retournement politique. « L'Empire est plus puissant que jamais » constataient les républicains, résignés. Le 8 mai encore, Napoléon III et son régime sortaient renforcés d'un plébiscite qui leur avait accordé 7 336 000 de « oui » contre 1 560 000 de « non ». Conforté dans son orientation libérale, rien ne semblait atteindre le régime. Même pas Paris, seul département à s'être exprimé majoritairement pour le « non ».
La déclaration de guerre à la Prusse, le 19 juillet 1870, allait finalement sonner l'arrêt de mort de l'Empire. Emile Ollivier, le chef du gouvernement, avait beau la saluer d'un « cœur léger », la France était seule face à une armée deux fois plus nombreuse et bien mieux équipée.
De batailles en batailles, la guerre tourna logiquement à la catastrophe pour l'armée et le régime. Ainsi, à Sedan, le 2 septembre, Napoléon III, encerclé après une bataille perdue, se constitue prisonnier, avec plus de 100 000 hommes.
Alertés de la nouvelle dans la nuit du 3 au 4 septembre, les députés du Corps législatif se réunissent aussitôt au Palais-Bourbon. Refusant dans un premier temps de confier la régence à l'impératrice Eugénie, ils s'interrogent sur le cap à prendre.
C'est la foule parisienne, républicaine et révolutionnaire, qui va les mettre d'accord. A la nouvelle de la capture, elle se dirige et envahit le Palais-Bourbon, siège du Corps législatif. Ils exigent - députés en tête, tels Jules Favre, Jules Grévy, Jules Simon, Jules Ferry, Adolphe Crémieux et surtout Léon Gambetta - la proclamation de la République, qui est déjà chose faite depuis quelques heures à Lyon et Marseille.
Craignant d'être débordés par l'insurrection, les députés finissent par se rallier à l'idée de Jules Favre, qui leur a suggéré de proclamer eux-mêmes la République à l'Hôtel de ville, entendant ainsi rééditer les grandes heures de la Grande Révolution et des journées de février 1848 dont ce lieu fut un théâtre majeur.
Deux files de députés et de simples citoyens se dirigent alors vers l'Hôtel de ville, où se trouvent déjà une multitude d'agitateurs révolutionnaires, jacobins ou socialistes, tels Delescluze et Blanqui.
Léon Gambetta et Jules Favre proclament alors la République au milieu d'une liesse générale, totalement en déconnexion avec un pays en plein chaos militaire. « Il y avait des fleurs aux fusils, des guirlandes ; c'était un air de fête dans la cité. Jamais révolution ne se fit avec une telle douceur » raconte Jules Ferry, qui, pour s'attacher les faveurs de la foule, a l'idée de constituer un gouvernement composé de députés républicains de Paris. La formation de ce gouvernement - dit de « Défense nationale » - est chose faite le jour même. Jules Ferry lui-même, et d'autres députés parisiens de sa famille politique (Emmanuel Arago, Adolphe Crémieux, Jules Favre, Léon Gambetta, Garnier-Pagès, Glais-Bizoin, Eugène Pelletan, Ernest Picard, Henri Rochefort, Jules Simon) le forment alors, avec à sa tête le gouverneur militaire de Paris, le général Louis Jules Trochu, un conservateur.
Républicaine, révolutionnaire, l'insurrection est aussi et avant tout patriote. Le nouveau gouvernement a comme tâche prioritaire d'organiser la défense nationale face aux Prussiens - d'où la présence d'un général à sa tête. Comme en 1792, la République est le recours d'un peuple trahi et d'une nation vouée au plus grand des périls par la faute d'un souverain autolâtre et inconséquent. Et comme en 1792, toujours, on croit alors à un sursaut de « la patrie en danger », d'autant plus que la résistance de l'armée de Bazaine à Metz donne au nouveau pouvoir quelques motifs d'espérer.
Mais la situation ne se rétablira jamais. Le 19 septembre, Paris est encerclé. Le 7 octobre, le fougueux Gambetta, ministre de l'Intérieur, s'enfuit de Paris à bord d'un ballon. Arrivé à Tours, il entend organiser une armée en vue de venir en aide à la capitale et de poursuivre et mener une « guerre à outrance ». Procédant avec courage et ténacité à la levée de nouvelles troupes, le redressement de la situation militaire semble, un temps, se profiler, même après la reddition traitresse de l'armée de Bazaine. Mais mal équipées et très affaiblies, elles doivent finalement battre en retraite sur tous les fronts.
De leur côté, les Parisiens vont vivre tout l'hiver un siège épouvantable. Affamés, épuisés, ils tiendront, mais n'empêcheront pas les Prussiens d'emporter la guerre. La capitulation de la ville, le 20 janvier 1871, est en effet la déconvenue de trop pour le gouvernement qui décide alors - à l'exception notable de Gambetta - d'entrer en rapport avec l'ennemi afin de mettre un terme aux hostilités. L'armistice est ainsi signé par Jules Favre le 28 janvier 1871, pour une durée de quatre semaines, le temps d'élire une Assemblée nationale qui se chargera d'entériner le traité de paix définitif.
Le 8 février, les élections générales donnent à cette nouvelle Assemblée nationale une écrasante majorité monarchiste, qui plus est favorable à la paix. Celle-ci, à laquelle le gouvernement de Trochu remet sa démission, désigne Adolphe Thiers comme « chef du gouvernement exécutif de la République française ».
A peine proclamée, la République est ainsi déjà fragilisée par la perspective d'une restauration monarchique. Une précarité dont elle sortira finalement tête haute en 1879 et la prise contrôle totale des institutions par les républicains.
Au coup d'Etat originel du 2 décembre 1851 aura ainsi répondu en ce 4 septembre 1870 un coup de force républicain et parisien. Née dans le chaos et la confusion la plus totale, l'ironie de l'histoire voudra que la IIIe République périsse finalement de la même façon, soixante-dix ans plus tard...