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17 février 2010 3 17 /02 /février /2010 23:07

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Par Bertrand Renouvin


Face à la crise de la monnaie unique, les oligarques de tous les pays concernés, leurs experts et les chroniqueurs accrédités de la presse écrite et radiotélévisée ont tous tenu le même discours et lancé les mêmes mots d’ordre. L’abondance et la cohérence des messages impressionnent. Leur contenu est scandaleux.


Les oligarques dénoncent les grandes banques américaines et deux fonds de pension américains qui spéculent sur les emprunts d’Etat grecs et risquent de déstabiliser la zone euro. Mais c’est avouer que, depuis le début de la grande crise, rien n’a été fait pour empêcher les financiers de spéculer. L’an dernier, la rapacité des banquiers avait failli emporter tout le système. Cette année, c’est avec l’argent versé par les Etats pour les renflouer que les mêmes spéculateurs s’en prennent aux Etats : après la Grèce, ils visent le Portugal, l’Espagne, l’Italie... Pendant un an, les gloires du G 20 ont tenté d’abuser les peuples par de belles promesses sur la moralisation du capitalisme, ce qui n’empêche pas la banque suisse UBS de verser deux milliards d’euros de bonus pour 2009 alors qu’elle est déficitaire. Ils n’ont rien fait. Ni pour changer le système, ni même pour le réguler quelque peu. Et ce sont les peuples américain et européens qui vont, une fois de plus, payer les dégâts provoqués par le laxisme et la complaisance des maîtres. Premier scandale.


Saisis d’angoisse à l’idée que la zone euro pouvait éclater sous la pression des « marchés », les oligarques ont lancé leur contre-attaque verbale. Thème commun : l’Europe doit montrer sa solidarité, afin que « les marchés » soient rassurés. Terrible aveu : ce sont « les marchés » (les banques, les fonds de pension qui spéculent à mort) qui commandent aux Etats et aux divers organes de l’Union européenne : Eurogroupe, Banque centrale européenne, Commission européenne, Conseil européen. Pour Monsieur Sarkozy, pour Madame Merkel, pour Monsieur Barroso, pour Monsieur Van Rompuy, le problème est d’envoyer aux « marchés » un « signal fort » - suffisamment fort pour qu’ils se calment. Ce signal, c’est la mise au point de programmes d’austérité qui seront appliqués avec une froide brutalité aux peuples de la zone euro. D’où un deuxième scandale que personne, à ma connaissance, n’a jusqu’à présent dénoncé :


Le peuple grec a porté au pouvoir les socialistes. Leur chef, Georges Papandreou, avait présenté un programme de gouvernement qui comportait des mesures de réduction de la dette publique et du déficit budgétaire, c’est vrai : mais le chef du Pasok avait aussi promis que son gouvernement prendrait « des décisions difficiles, non pas contre les salariés et les retraités, mais contre les grands intérêts » [1]. En majorité, les Grecs ont voté pour ce programme de centre gauche. Ils auraient pu aussi bien choisir l’abstention puisque la volonté exprimée au suffrage universel n’a pas été prise une seconde en considération : c’est un programme ultralibéral, impitoyable pour les salariés et les retraités, qui va être mis en application. Ceci par décision arbitraire de Georges Papandreou, qui a devancé les désirs des eurocrates. Qu’on ne dise pas que le chef socialiste n’avait pas le choix : la sortie de l’euro, ou la menace d’une telle décision, lui aurait donné la possibilité de négocier avec Bruxelles une aide effective et immédiate.


Troisième scandale, mineur, provoqué par la propagande imbécile qui a précédé la réunion en urgence, le 11 février, du Conseil européen : confrontés à l’échec de la prétendue « monnaie unique », enfin reconnu dans maints articles, les oligarques de Paris et de Bruxelles, relayés par leurs commis de la grande presse, ont réclamé un « gouvernement économique » européen. Il s’agit d’une ânerie naguère proférée par Jacques Delors : gouverner est un acte politique qui ne peut pas conduire à séparer le domaine économique des enjeux sociaux, monétaires, culturels. Or un gouvernement européen impliquerait une constitution fédérale qui réduirait à peu de choses les souverainetés nationales. Le traité de Lisbonne ne permet pas cette « fédéralisation » (le mot a été employé ces jours derniers) ce qui signifie qu’il faudrait négocier, rédiger et faire adopter une « Constitution européenne ». Cela prendrait des années et il faudrait que les peuples soient consultés par référendum, sinon le déni de démocratie serait trop patent. Bien entendu, on ne fera rien, de peur de désaveux encore plus cinglant. Donc on disserte à vide, pour sauver la façade idéologique d’une construction européenne ébranlée dans ses fondements. Mais il fallait bien préparer les formidables décisions qui devaient résulter de la réunion bruxelloise du 11 février. Un envoyé spécial annonça même qu’un directoire était en train de se mettre en place ! Un directoire prêt à « voler au secours de la Grèce » selon l’expression cent fois entendue au cours de cette journée qui promettait d’être historique.


Il y eut en effet proclamation solennelle du résultat de plusieurs jours d’agitation : décision est prise de ne rien faire. Des « mesures déterminées et coordonnées » seront prises « si nécessaire » mais, contrairement à ce que l’on avait cru comprendre, il n’y a pas urgence parce que Madame Merkel s’est opposée à un soutien rapide de la Grèce pour des raisons juridiques et par principe si l’on en croit le « Guardian ». Le Premier ministre grec n’a demandé « aucun soutien financier » mais il s’est engagé à durcir son programme sous la surveillance de la Commission européenne. La mise en tutelle de l’Etat grec se fera par voie de « recommandations » de la Commission qui agira en liaison avec la BCE et « en s’appuyant sur l’expertise technique du FMI ». Cela signifie qu’on appliquera les techniques du FMI sans l’intervention directe du FMI : les fonctionnaires, les salariés, les retraités grecs vont être pressurés et la même opération punitive se prépare au Portugal et en Espagne.


Tel est le scandale majeur : les peuples, je l’ai dit, vont payer la facture. Ils vont même payer toutes les factures : celle de la spéculation financière, celle du libre-échange, principale cause de la crise, celle du traité de Lisbonne, qui interdit l’aide de la Banque centrale européenne aux Etats, celle de la confusion croissante des organes de l’Union européenne.


Pas d’autre solution que la mobilisation populaire et le blocage, dans la rue, du train de mesures criminelles que des gouvernements qui ont violé leurs engagements démocratiques se préparent à imposer.

 

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 [1]Cité par I Kathimerini du 21 septembre 2009. Article publié en français sur le site du Courrier des Balkans.

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13 février 2010 6 13 /02 /février /2010 00:15
Par Jacques Sapir

L’Euro est en crise. Cela n’étonnera guère ceux qui me lisent. Cette crise était prévisible du fait même du fonctionnement de cette zone, ainsi que je l’ai établie il y a quelques années. L’hétérogénéité des niveaux de l’inflation structurelle dans les pays de la zone ne pouvait que mettre à mal une construction à laquelle manquaient des pans entiers pour en assurer la cohérence.

La crise grecque a donc constitué un avertissement et non un véritable test pour la zone Euro. La faiblesse de la réaction européenne, en revanche, pourrait bien laisser préjuger de ce que sera la capacité de résistance de cette zone quand la véritable crise arrivera : c’est-à-dire très faible. En effet, la situation de la Grèce sur le plan budgétaire est sérieuse, mais elle n’est pas la seule.
La faute à un Euro trop fort


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On voit bien sur ce tableau que le niveau de la dette en Italie et en Belgique est pratiquement équivalent. L’Espagne, si elle est encore aujourd’hui à un niveau raisonnable, risque de les rejoindre dans peu de temps, en raison d’un taux de chômage qui atteint les 19%.

Le discours dominant veut isoler la Grèce, qui paierait ainsi son attitude laxiste. Ce n’est qu’en partie – une petite partie d’ailleurs – de la réalité. Les ressources fiscales du gouvernement grec dépendent du niveau d’activité. Ce dernier dépend à son tour de trois facteurs, l’affrètement de la flotte maritime, le commerce avec les pays du Moyen-Orient et le tourisme.

Or, avec la hausse de l’Euro et la crise actuelle, ces trois facteurs sont à la baisse. Mais, pour autant le niveau des dépenses est peu flexible. Le déficit était inévitable, et ce serait produit même avec un gouvernement plus rigoureux.

Les travailleurs grecs qui ont protesté le 10 février dans tout le pays n’ont donc pas tort. Ce n’est pas à cause de salaires trop élevés que la Grèce est en déficit. Les causes de ce dernier sont beaucoup plus structurelles et, dans une large mesure, sont le produit de la politique menée par la zone Euro. On comprend alors l’amertume des syndicats qui voient cette même zone vouloir amputer le pouvoir d’achat des Grecs pour combler une crise dont elle porte, via l’Euro fort, une large responsabilité.

Aujourd’hui, le plan d’assistance annoncée par la France et l’Allemagne est conditionné à un retour rapide à l’équilibre des comptes publics. Ce n‘est tout simplement pas réaliste, et la dette de la Grèce exprimée en pourcentage du PIB va continuer de monter.

La Grèce doit emprunter à 6%
Par ailleurs, pour aider la Grèce, il faudra bien que l’Allemagne et la France s’endettent un peu plus, et ce au moment ou l’on nous promet un nouveau tour de vis de rigueur budgétaire. En fait, ce sont les conditions de financement de la dette publique qui sont, aujourd’hui, l’une des causes principales de son augmentation.

Il faut en effet savoir que son augmentation est pour une large part due à ce qu’il nous faut emprunter à plus de 3% (3,45% en moyenne) alors que l’on n’attend pas, même dans les rêves les plus fous de Mme Lagarde, une croissance au-dessus de 2%.

Or, dans le même temps, les banques se refinancent auprès de la BCE (comme d’ailleurs auprès de la Réserve Fédérale américaine et des autres Banques Centrales des pays développés) à des taux oscillant entre 1% et 0,5%. Serait-ce du fait de la meilleure qualité des dettes privées par rapport à la dette publique ? Poser cette question, c’est y répondre, et par un immense éclat de rire.
 
Les dettes qui sont dans les banques sont en général de très mauvaise qualité, et le FMI lui-même estime à plus de 3 trillions de dollars les mauvaises créances dans ce secteur. C’est avant tout un choix qui, pour certains, s’explique par des raisons idéologiques et pour d’autres par leurs intérêts privés.

Assurément, il y a des pays qui sont bine plus mal lotis que nous. La Grèce, en particulier, doit emprunter à 6%. Son gouvernement devra bientôt choisir entre un appauvrissement généralisé de la population et une sortie de l’Euro. D’autres pays connaîtront le même sort d’ici 2012, du Portugal à l’Espagne en passant par l’Italie et l’Irlande.
 
Non seulement l’Euro ne protège pas de la tourmente monétaire, ce que l’on constate aujourd’hui avec les écarts grandissants des taux sur la dette publique (les « spreads ») mais aussi sur les credit default swaps sur la dette souveraine (figure 1). Mais les règles de financement de la BCE transforment en un problème social en apparence insoluble ce qui serait, sous d’autres règles, parfaitement maîtrisable.

La Grèce, première vicitime des marchés financiers
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Montant des spreads sur les Credit Default Swaps sur la dette souveraine

On voit sur ce graphique que si la Grèce a bien été la première victime des marchés financiers, elle ne sera pas la seule. Ces marchés ne demandent qu’à répéter les opérations spéculatives dont la Grèce a été la victime ces dix derniers jours sur l’Espagne, l’Italie le Portugal ou l’Irlande. Si l’on peut envisager d’aider la Grèce, les ressources seront saturées dès que le problème se posera à l’échelle de l’Italie ou de l’Espagne, voire de plusieurs pays à la fois.

Il faut dès lors se rendre à l’évidence. Seul, un contrôle sur les mouvements de capitaux à court terme, accompagné d’un changement radical des règles de la Banque Centrale Européenne en ce qui concerne le financement des dettes souveraines sera en mesure de stopper cette spéculation. Mais, on voit mal se mettre en place pareille politique. Ce n’est pas la réunion d’aujourd’hui à Bruxelles et son compromis boiteux qui plaident en ce sens.

La crise de l’Euro est donc à venir, et de ce point de vue, la crise grecque n’est qu’un avertissement. Mais nous savons déjà qu’elle sera grave, et sans doute terminale pour la zone Euro, en raison de l’inadaptation des politiques.

Faute de ne pas avoir voulu en modifier à temps les règles, et passer du principe de la monnaie unique à celui de la monnaie commune, les dogmatique et fanatiques de l’Euro auront eu sa peau.

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