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29 juin 2008 7 29 /06 /juin /2008 12:40

Interview de Bernard Teper, coordinateur du Collectif national contre les franchises médicales et président de l'Ufal (Union des familles laïques), sur le déremboursement des ALD.


Par Sibylle Laurent pour le Nouvel Obs.


Frédéric van Roekeghem, directeur de l'assurance maladie a proposé dans la presse une réduction du taux de prise en charge de certains médicaments des patients souffrant d'affections longue durée. L'annonce a été démentie par le gouvernement. Est-ce un ballon d'essai ou une mesure réellement envisagée ?

Un peu des deux. Bien évidemment, nous sommes habitués de la part du gouvernement à des coups de sonde, puis à une réadaptation des mesures en fonction des réactions. C'est peut-être cela. Mais il est clair pour nous que le gouvernement a pour objectif de "marchander", de privatiser le système de remboursement des soins du système de santé. C'est une proposition cohérente avec la politique néo-libérale menée depuis quelques années.
Cette proposition sur les affections longue durée (ALD) est terrible. Le seul endroit où il y a le principe de solidarité entre les assurés sociaux est la Sécurité sociale. Commencer à dire : "nous allons diminuer les remboursements", c'est supprimer ce principe de solidarité. C'est avoir une gestion de comptable, faire un choix par le risque. La solidarité, cela veut dire que chacun doit bénéficier de la Sécurité sociale en fonction de ses besoins, et y contribuer en fonction de ses moyens.


Depuis quelques années, la tendance semble en effet aller vers un déremboursement et une moins bonne prise en charge des patients. Allons-nous vers un système à deux vitesses, où seuls ceux qui ont une mutuelle pourront faire face aux dépenses de santé ?

Cette proposition marque en tout cas une nouvelle étape dans la politique de démantèlement de la sécurité sociale : il y a clairement une accélération.
Dans sa déclaration, le directeur de la Cnam (Caisse nationale d'assurance maladie) dit ouvertement qu'il est pour la diminution des remboursements de la Sécu et pour l'augmentation des remboursements par des complémentaires de santé.
Ce qu'il faut savoir, c'est que dans les complémentaires de santé, il y a les grandes firmes multinationales de l'assurance. Celles-ci possèdent 24% de parts de marché des complémentaires de santé. L'augmentation du chiffre d'affaire de ces firmes est de plus de 80% sur les six dernières années. Il n'y a pas ici de problème d'argent.
En fait, en transférant les remboursements de la Sécurité sociale vers les complémentaires, le gouvernement va vers la privatisation de la santé. Et surtout, nous rentrons dans une spirale d'augmentation des inégalités sociales et un nouveau modèle social.
A la Libération, les ordonnances du 4 et du 19 octobre 1945 ont dessiné le modèle du système de santé : il n'y a pas de concurrence dans la santé. C'était un consensus français. Ceux qui étaient plus riches contribuaient pour les plus pauvres ; les plus jeunes pour les plus vieux.
Le gouvernement est en train de tuer la solidarité et de favoriser les grandes cliniques et les firmes multinationales. Derrière cela, il y a une médecine "à 5 vitesses". Selon les revenus que l'on a, on a accès aux soins ou pas : les cliniques privées choisissent leurs clients en fonction de leur solvabilité. Il faut absolument changer de logique et revenir sur la base d'un financement solidaire.


L'Assurance maladie veut stabiliser ses comptes. Elle a donc besoin besoin d'argent. Où peut-elle en trouver ? Qui en pâtirait ?

La solution est très simple. Il suffit pour cela de prendre les comptes de l'Insee ou ceux de la Commission européenne. La Sécurité sociale est assise sur les revenus du travail. Une fraction de ces revenus constitue les cotisations sociales. Le problème, celui qui crée le trou de la Sécu, est la modification méthodique de répartition des richesses depuis 25 ans. La richesse produite en un an sur un pays peut se répartir d'un côté en revenu du travail et en cotisations sociales, et de l'autre en profits. En 25 ans, la part des revenus et des cotisations sociales a baissé de près de 10 points de PIB (Produit intérieur brut, ndlr) et la part des profits a augmenté de 9,3 points de PIB, selon les chiffres de la Commission européenne. 9,3% du PIB, c'est 170 milliards d'euros par an. Le trou de la Sécu, lui, est de 9,8 milliards d'euros en 2007. Les chiffres sont éloquents.
Frédéric van Roekeghem et le gouvernement sont dans une fuite en avant : ils baissent les rentrées financières de la Sécu, notamment les cotisations patronales, ce qui augmente le trou de la Sécu. A côté de cela, ils disent qu'il faut limiter les dépenses. C'est un cercle vicieux. C'est une opération à court terme, mais qui va aggraver les dépenses à moyen terme.
Mais quand on voit qu'une des priorités du gouvernement est de mettre en place un bouclier fiscal de 15 milliards d'euros, c'est un modèle de société qui est remis en cause, un souhait de société qui change.


UFAL Info

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13 janvier 2007 6 13 /01 /janvier /2007 00:49

Par Jacques Nikonoff


L'initiative de l'association les Enfants de Don Quichotte pour le logement des Sans domiciles fixes, largement relayée par les médias, a mis sur le devant de la scène la notion de " droit opposable " au logement. La période des fêtes de Noël, comme lors du tsunami en 2005, est favorable aux élans du coeur, à la solidarité et à la compassion. Comment rester indifférent au spectacle navrant et révoltant de centaines d'être humains réduits à se terrer dans des habitats de fortune dans les rues décorées de nos villes ? Précisément au moment où 2006 est présentée comme une " année en or " pour la finance mondiale.


Il serait donc question de mettre en oeuvre un droit " opposable " au logement ; de quoi s'agit-il ?

En France le droit au logement, comme d'autres droits, existe depuis longtemps. Sur le papier. Car il est nécessaire d'opérer une distinction entre les droits sociaux. Certains ne sont que de l'encre sur du papier. Ils peuvent certes figurer dans des textes de loi (par exemple le droit à l'emploi qui figure même dans la Constitution), mais ils sont considérés comme des droits indicatifs ou " programmatiques ". Ils ne sont qu'une simple orientation, un cap que se donne l'Etat. Ils ne sont associés à aucune obligation de résultat de la part de l'Etat et n'accordent aucune garantie aux citoyens.

D'autres droits sociaux sont dits " opposables ". Le droit " opposable " permet en effet à tout citoyen de faire condamner par la justice toute autorité politique qui ne respecte pas la loi, et d'obtenir réparation quand un droit n'est pas respecté.

Le droit " opposable ", pour se matérialiser, repose sur trois conditions

  • Désigner une autorité politique responsable . Ce doit être en général l'Etat. C'est ce dernier en effet, pour reprendre une expression tombée en désuétude, qui est en charge de la " bienfaisance nationale ". Pour ne prendre qu'un exemple, voici l'appel du 22 mai 1794 de la Convention en faveur d'une pension de retraite universelle : " Là où le coeur des citoyens palpite pour une patrie, les vagissements de l'enfant abandonné appellent cette même patrie à son secours ; homme, il sollicite du travail ; infirme, il implore la bienfaisance nationale ; vieux, il a droit au repos, aux égards et aux secours publics ; ils doivent embrasser les générations qui commencent et celles qui finissent. (...) Eh bien ! Que la République française donne la première le grand exemple de cette justice. (...) Dans une démocratie qui s'organise, tout doit tendre à élever chaque citoyen au-dessus du premier besoin, par le travail, s'il est valide ; par l'éducation, s'il est enfant ; et par le secours s'il est invalide ou dans la vieillesse. "
  • Doter cette autorité des moyens et prérogatives nécessaires . Pour être effectif, le droit au logement par exemple induit un " devoir de loger ". Pour le droit à l'emploi, l'Etat aurait l'obligation de proposer des emplois ; pour le droit aux soins, il doit organiser l'accès aux soins pour tous, etc. Le droit n'est plus un simple objectif indicatif pour les politiques publiques, la puissance publique est contrainte par une obligation de résultat sous peine de sanction. Tout citoyen en difficulté pour accéder ou se maintenir dans le logement bénéficiera par conséquent d'une aide qui lui permettra effectivement d'être logé ou relogé.
  • Ouvrir des voies de recours pour le citoyen . Le droit est garantit par des voies de recours auprès d'une autorité politique responsable. Elles sont d'abord amiables puis en dernier ressort juridictionnelles.

Aujourd'hui seuls deux droits fondamentaux sont déjà opposables : le droit à la scolarité et celui à la protection de la santé

Une éducation doit être garantie aux enfants jusqu'à l'âge de 16 ans, les responsabilités respectives de l'Etat et des collectivités territoriales étant clairement établies. Si l'inscription scolaire d'un enfant pose un problème, il existe des voies de recours, y compris devant le tribunal administratif. En clair si vos enfants ne sont pas pris à l'école, vous pouvez porter plainte et vous êtes sûr de gagner...

Le droit à la protection de la santé ne permet pas d'imaginer un refus d'accorder des soins de la part d'un hôpital. D'autant qu'il existe l'obligation d'assistance à personnes en danger, appliquée notamment grâce au " caractère universel, obligatoire et solidaire de l'assurance maladie " (article L. 111-2-1 du Code de la Sécurité sociale).


Qu'adviendrait-il si le droit à la scolarité et celui à la protection de la santé n'étaient pas opposables ?

Tous les enfants de moins de seize ans seraient-ils scolarisés ? On peut en douter car certains d'entre eux, selon des critères opaques, feraient l'objet d'un refus d'inscription sous des prétextes variés : nombre insuffisants d'écoles ou de classes construites ; manques d'enseignants ; budgets trop faibles... En vérité, c'est l'établissement de l'instruction publique laïque, gratuite et obligatoire qui a contribué à la construction des écoles, et non l'inverse. De même, c'est le droit au logement opposable qui contribuera à la construction suffisante de logements sociaux.

En matière de santé, le schéma américain se mettrait vite en place : sur le brancard et aux urgences, la première démarche de l'hôpital faite auprès des patients serait de leur demander leur carte de crédit...


Quels sont les autres droits qui devraient devenir " opposables " ?

Il paraitrait logique et conforme à l'esprit des Lumières, poursuivi dans le programme du Conseil national de la Résistance, de commencer par les droits établis dans le préambule de la Constitution de 1946, partie intégrante de la Constitution de 1958 actuellement en vigueur :

Le droit à l'égalité entre les hommes et les femmes : " La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme. "

Le droit à l'emploi : " Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. "

Le droit au respect : " Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. "

Le droit de participation à la gestion des entreprises : "Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises."

Le droit au service public : "Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité."

Le droit au revenu : "Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence."

Le droit à la formation professionnelle et à la culture : "La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture."


Le fanatisme de marché contre les droits opposables

Malgré le grand nombre de droits inscrits dans les textes juridiques, pourquoi si peu sont opposables et restent lettre morte ? Les obstacles sont d'ordre idéologique, politique et culturel, et liés à une certaine conception de la propriété et de la concurrence.

Le logement, pour reprendre cet exemple, est aujourd'hui un marché. Pour les libéraux la catastrophe guette car un droit opposable au logement reviendrait à permettre à toute personne dépourvue d'un logement d'en occuper un, même si elle se trouve dans l'incapacité d'en payer le prix de marché. La charge du logement serait alors transférée sur les contribuables, comme tout financement de droits opposables. Toute tentative de faire appliquer le droit au logement ne pourrait donc qu'encourager la construction massive de logements sociaux par la puissance publique, augmentant les dépenses sociales de la nation et provoquant une concurrence déloyale avec le secteur privé. Le logement social, en outre, en proposant des loyers inférieurs à ceux résultant de la confrontation de l'offre et de la demande sur un marché " libre ", engendrera mécaniquement une baisse du prix des loyers dans le secteur privé. Horreur ! La sphère publique dominera la sphère privée.


De beaux débats en perspective lors de la campagne électorale

C'est certainement sur le terrain des droits opposables que la campagne électorale qui débute sera la plus intéressante. Car le droit opposable condense à lui seul toute la question libérale. Il pose d'abord le problème de la finalité de l'économie. Avec des droits opposables qu'il faut financer, l'économie est remise à sa place qui est de produire des richesses permettant de répondre aux besoins de la population. On produira biens et services pour permettre l'application du droit au logement, aux soins, à l'éducation, etc. C'est l'orientation générale de l'économie qui est changée, les activités productives seront par nature économes en énergie et en pollutions.

Ensuite, l'autre mérite du droit opposable est d'entrer dans le détail. Nulle vague promesse électorale n'est possible. Il faut être concret et débattre des moyens de réaliser le droit. C'est le retour de la politique contre la marche au hasard de l'économie de casino.

Cette perspective a été esquissée dans la Charte antilibérale et dans le Manifeste d'Attac. Il faut maintenant lui donner l'ampleur et le souffle requis par la situation.

www.avenirdattac.net

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