Interview de Bernard Teper, coordinateur du Collectif national contre les franchises médicales et président de l'Ufal (Union des familles laïques), sur le déremboursement des ALD.
Par Sibylle Laurent pour le Nouvel Obs.
Frédéric van Roekeghem, directeur de l'assurance maladie a proposé dans la presse une réduction du taux de prise en charge de certains médicaments des patients souffrant d'affections longue durée. L'annonce a été démentie par le gouvernement. Est-ce un ballon d'essai ou une mesure réellement envisagée ?
Un peu des deux. Bien évidemment, nous sommes habitués de la part du gouvernement à des coups de sonde, puis à une réadaptation des mesures en fonction des réactions. C'est peut-être cela. Mais il est clair pour nous que le gouvernement a pour objectif de "marchander", de privatiser le système de remboursement des soins du système de santé. C'est une proposition cohérente avec la politique néo-libérale menée depuis quelques années.
Cette proposition sur les affections longue durée (ALD) est terrible. Le seul endroit où il y a le principe de solidarité entre les assurés sociaux est la Sécurité sociale. Commencer à dire : "nous allons diminuer les remboursements", c'est supprimer ce principe de solidarité. C'est avoir une gestion de comptable, faire un choix par le risque. La solidarité, cela veut dire que chacun doit bénéficier de la Sécurité sociale en fonction de ses besoins, et y contribuer en fonction de ses moyens.
Depuis quelques années, la tendance semble en effet aller vers un déremboursement et une moins bonne prise en charge des patients. Allons-nous vers un système à deux vitesses, où seuls ceux qui ont une mutuelle pourront faire face aux dépenses de santé ?
Cette proposition marque en tout cas une nouvelle étape dans la politique de démantèlement de la sécurité sociale : il y a clairement une accélération.
Dans sa déclaration, le directeur de la Cnam (Caisse nationale d'assurance maladie) dit ouvertement qu'il est pour la diminution des remboursements de la Sécu et pour l'augmentation des remboursements par des complémentaires de santé.
Ce qu'il faut savoir, c'est que dans les complémentaires de santé, il y a les grandes firmes multinationales de l'assurance. Celles-ci possèdent 24% de parts de marché des complémentaires de santé. L'augmentation du chiffre d'affaire de ces firmes est de plus de 80% sur les six dernières années. Il n'y a pas ici de problème d'argent.
En fait, en transférant les remboursements de la Sécurité sociale vers les complémentaires, le gouvernement va vers la privatisation de la santé. Et surtout, nous rentrons dans une spirale d'augmentation des inégalités sociales et un nouveau modèle social.
A la Libération, les ordonnances du 4 et du 19 octobre 1945 ont dessiné le modèle du système de santé : il n'y a pas de concurrence dans la santé. C'était un consensus français. Ceux qui étaient plus riches contribuaient pour les plus pauvres ; les plus jeunes pour les plus vieux.
Le gouvernement est en train de tuer la solidarité et de favoriser les grandes cliniques et les firmes multinationales. Derrière cela, il y a une médecine "à 5 vitesses". Selon les revenus que l'on a, on a accès aux soins ou pas : les cliniques privées choisissent leurs clients en fonction de leur solvabilité. Il faut absolument changer de logique et revenir sur la base d'un financement solidaire.
L'Assurance maladie veut stabiliser ses comptes. Elle a donc besoin besoin d'argent. Où peut-elle en trouver ? Qui en pâtirait ?
La solution est très simple. Il suffit pour cela de prendre les comptes de l'Insee ou ceux de la Commission européenne. La Sécurité sociale est assise sur les revenus du travail. Une fraction de ces revenus constitue les cotisations sociales. Le problème, celui qui crée le trou de la Sécu, est la modification méthodique de répartition des richesses depuis 25 ans. La richesse produite en un an sur un pays peut se répartir d'un côté en revenu du travail et en cotisations sociales, et de l'autre en profits. En 25 ans, la part des revenus et des cotisations sociales a baissé de près de 10 points de PIB (Produit intérieur brut, ndlr) et la part des profits a augmenté de 9,3 points de PIB, selon les chiffres de la Commission européenne. 9,3% du PIB, c'est 170 milliards d'euros par an. Le trou de la Sécu, lui, est de 9,8 milliards d'euros en 2007. Les chiffres sont éloquents.
Frédéric van Roekeghem et le gouvernement sont dans une fuite en avant : ils baissent les rentrées financières de la Sécu, notamment les cotisations patronales, ce qui augmente le trou de la Sécu. A côté de cela, ils disent qu'il faut limiter les dépenses. C'est un cercle vicieux. C'est une opération à court terme, mais qui va aggraver les dépenses à moyen terme.
Mais quand on voit qu'une des priorités du gouvernement est de mettre en place un bouclier fiscal de 15 milliards d'euros, c'est un modèle de société qui est remis en cause, un souhait de société qui change.