Culture et mémoire républicaine

 

Recherche

A propos du site

28 janvier 2008 1 28 /01 /janvier /2008 16:00

undefined

Par Jean-Marie Blanc

Connaissez-vous un homme politique qui se dise antilaïque ?... Moi pas ! Tout le monde est laïque... Mais attention, il s’agit d’une laïcité « moderne », « ouverte », « apaisée »... c’est-à-dire qui, à force de concessions à toutes les communautés religieuses, n’a plus de laïque que le nom. Celui qui refuse ces concessions et défend tout simplement, à travers la loi de 1905, une complète séparation entre l’État et les religions, ce n’est pas un laïque, mais un « laïcard » anticlérical, assimilé à un athée militant pour qui la laïcité ne serait que le premier pas en direction d’un idéal politique ouvertement antireligieux. Or l’athée, c’est bien connu, est un danger social : au mieux un individu amoral dont la fréquentation serait à éviter, au pire un redoutable gauchiste, révolutionnaire en puissance... Tels sont les schémas dans lesquels nous nous laissons enfermer... mais à qui la faute ?... Essayons donc d’y voir un peu plus clair.


Laïcité, le « vivre ensemble » civilisé

La laïcité n’est pas naturelle à l’humanité. Dans toutes les sociétés traditionnelles, le pouvoir temporel et le pouvoir religieux s’épaulent mutuellement voire se confondent, tant pour leur propre maintien que pour celui de la cohésion sociale. La séparation de ces pouvoirs n’intervient qu’au-delà d’un certain degré d’humanisme et de civilisation, et selon des modalités qui dépendent des traditions culturelles et des vicissitudes historiques des peuples concernés. La spécificité laïque française, par rapport aux pays voisins qui n’ont pas connu de conflit majeur entre l’État et la religion, tient à la Révolution de 1789 qui, en abolissant la royauté, ne pouvait que se heurter violemment à l’Église catholique, alliée de toujours du trône de France. L’antagonisme haineux qui en est résulté entre républicains et cléricaux s’est poursuivi de façon récurrente jusqu’au début du XXe siècle, et la loi de 1905 a été le fruit de cette longue lutte d’émancipation de la République vis-à-vis de la domination théocratique du Vatican. Encore a-t-elle été une loi de compromis, par rapport aux objectifs antireligieux des républicains radicaux de l’époque. Il n’empêche que le pape actuel ne verrait sans doute pas d’un mauvais œil que cette loi soit amendée à la faveur d’un alignement de la France sur ses partenaires européens qui, n’ayant pas le même vécu historique, sont adeptes, au nom du principe de tolérance, d’une plus large reconnaissance des communautés religieuses et culturelles. Or ce serait une erreur, préjudiciable non seulement à la paix publique, mais aussi à la démarche religieuse elle-même.

Toutes les religions sont basées sur des textes anciens, rassemblant des « vérités révélées » de tradition orale plus ancienne encore. Quelle que soit la foi que l’on veuille accorder à ces révélations, il paraît difficile d’admettre que celles-ci aient pu être transmises sur de si longues périodes dans leur pureté originelle. Pour une large part, les textes « sacrés » témoignent des modes de vie et des règles coutumières de leur époque, qu’il est inutile, voire nocif, de vouloir reproduire aujourd’hui : l’autoritarisme théocratique, l’usage de la violence et l’aliénation de la femme, en particulier, sont incompatibles avec les acquis cognitifs, philosophiques et sociopolitiques - la civilisation, en un mot - des sociétés évoluées. Vis-à- vis de ces textes, les croyants ont donc un devoir d’inventaire et d’exégèse sélective dont la difficulté, toujours présente, est néanmoins variable selon les religions : une lecture comparée, fût-elle superficielle, des Évangiles et du Coran ne laisse aucun doute à ce sujet. De fait, chez une majorité de gens, les croyances et les pratiques religieuses s’assouplissent d’une génération à l’autre en intégrant au moins partiellement l’évolution contemporaine des savoirs et des idées, ce qui permet à la démarche religieuse (dont certains ont un réel besoin) de conserver son acceptabilité sociale. Toutefois, en marge de cette majorité de croyants raisonnables, subsistent des minorités plus ou moins intégristes qui, sur la base d’une lecture littérale des textes « sacrés », entendent soumettre à leurs dogmes l’ensemble de la société. Pour les hiérarchies religieuses, obligées de s’adapter à la civilisation pour rester crédibles mais toujours tentées par les dérives hégémoniques, le militantisme de ces intégristes est utile, du moins tant qu’il ne provoque pas de réaction de rejet, et il est donc encouragé, en sous- main ou plus ouvertement selon les circonstances.

Il se trouve que nous vivons actuellement une époque de désenchantement consécutive à la faillite, au cours du XXe siècle, des idéologies ayant annoncé que les peuples allaient accéder au bonheur grâce au progrès matériel et/ou à l’instauration d’un ordre nouveau (social, économique, ou politique) : Dans les faits, ce furent des totalitarismes, des morts et des souffrances... et au mieux, dans les pays en paix et suffisamment riches, une société de consommation où les gens ne se sentent guère plus heureux pour autant. Ce désenchantement, en accroissant le besoin de « sens » et d’espérance qui est le fonds de commerce des religions, leur ouvre un espace propice à la résurgence du fondamentalisme et de l’activisme. On observe ainsi, au nom de confessions diverses, des actions de lobbying contre l’avortement, pour l’enseignement du créationnisme, contre-la libre critique des dogmes, pour le financement public des cultes... et plus généralement pour la constitution de droits communautaires opposables aux valeurs et aux lois nationales. Or, pour contrer cette dynamique intégriste, le modèle communautariste anglo-saxon qui prévaut en Europe est relativement démuni. Il s’enracine en effet dans la philosophie de la tolérance de John Locke, développée au XVIIIe siècle, qui suppose l’unité des religions autour d’un principe fondateur commun (« religion naturelle »), leurs dogmes spécifiques n’étant qu’accessoires, car entachés d’incertitude compte tenu des limitations de l’entendement humain. Outre qu’elle laisse peu de place à l’incroyance, cette philosophie a le défaut de n’être applicable politiquement que si tout le monde joue le jeu de la tolérance, à commencer par les religions elles-mêmes. Qu’une seule s’y refuse et tente d’imposer ses dogmes, et l’État se retrouve législativement désarmé : ayant accepté par avance, au nom de la tolérance, de reconnaître les communautés religieuses comme partenaires, il est en porte à faux face à celle qui lui refuse toute concession en retour. Si le communautarisme a pu fonctionner jusqu’à présent tant bien que mal en Europe, c’est parce que les religions dominantes en présence, toutes judéo-chrétiennes, ont pu et dû s’adapter, plus ou moins et avec le temps, aux valeurs humanistes de nos démocraties. L’irruption de nouvelles religions immigrées en décalage par rapport à ces valeurs, l’Islam en particulier, est en train de changer la donne.

À la différence du modèle communautariste, le modèle laïque français pose en principe la primauté de l’individu, supposé libre et responsable (et se pensant comme tel), par rapport à toute communauté d’appartenance, qu’elle soit ethnique, religieuse ou socioculturelle. Ce système disjoint totalement une sphère relationnelle privée (chez soi, mais aussi dans l’espace public) où l’individu, seul ou en assemblée, est libre d’assumer et d’afficher ses choix religieux ou philosophiques, et la sphère publique, domaine de l’État et de ses institutions, où chacun doit s’abstenir d’extérioriser ses convictions métaphysiques. La République, selon les principes de la loi du 9 décembre 1905, « assure la liberté de conscience » et « garantit le libre exercice des cultes » (article premier), mais « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » (article 2). C’est bien entendu cet article 2 que les lobbies religieux, pour un libre accès aux subventions, voudraient voir amendé. Or la loi forme un tout, ses deux articles fondamentaux sont indissociables, et les croyants raisonnables doivent comprendre que ce déni de reconnaissance publique de leur culte, pour radical qu’il puisse leur paraître, est précisément l’indispensable garant de leur propre liberté de pratiquer ce culte comme ils l’entendent. Tout assouplissement de cet article 2 au nom de la tolérance ne peut en effet que conduire, faute d’un principe civique admis comme supérieur, à un renforcement du pouvoir des clergés et à un déplacement des rapports de forces en faveur des tendances religieuses les plus intégristes. Cela pourrait même aboutir à des affrontements entre communautés, dont les croyants raisonnables seraient les premières victimes. Le risque est d’autant plus grand que nous assistons à une montée en puissance du fondamentalisme musulman, dont le contexte socioculturel, le dogmatisme et les prétentions théocratiques, en retard de plusieurs siècles par rapport aux mentalités européennes, ne manqueront pas de provoquer des réactions de rejet, éventuellement violentes. Face à cette menace, le refus de tout communautarisme et le respect absolu d’une laïcité forte de l’État est le seul rempart capable de préserver à la fois la liberté de pratique religieuse (ou non) et le « vivre ensemble » civilisé.


Laïcité n’est pas lutte antireligieuse

Comme beaucoup de rationalistes, je suis à la fois laïque et athée. En tant qu’athée, je considère que les religions ne sont que des mythes dont tout être intelligent devrait pouvoir se passer, et je professe cette opinion philosophique toutes les fois que l’occasion m’en est donnée. En tant que laïque, en revanche, je suis favorable à une politique de séparation de l’État et des cultes qui implique au premier chef le respect de la liberté individuelle de conscience. Je m’impose alors une attitude politiquement correcte de non-ingérence dans les croyances d’autrui, en totale contradiction avec le prosélytisme philosophique auquel je tends naturellement par ailleurs. Schizophrénie ?... peut-être, mais il importe d’en être conscient, pour ne pas se tromper de combat.

Que se passe-t-il, en effet, dans le combat laïque ? Celui-ci est naturellement mené par des associations qui se sont constituées spécialement dans ce but (encore que leurs adhérents soient en majorité incroyants), mais aussi et surtout par des mouvements athées dont l’objectif principal, avoué ou non, est la lutte contre les religions. Sommes-nous, d’autre part, rejoints par des croyants convaincus du bien-fondé de la loi de 1905 ? Fort peu, et pour cause, on n’a jamais vraiment cherché à les convaincre. Cette situation a pour origine la bipolarisation héritée de la Révolution de 1789, spécificité française évoquée plus haut : républicains forcément irréligieux et anticléricaux d’une part, catholiques forcément conservateurs, royalistes ou bonapartistes, d’autre part. Cette bipolarisation était commode, mobilisatrice, et elle a fait les grandes heures de la IIIe République... mais elle n’est plus d’actualité. La République et ses principes démocratiques sont devenus largement consensuels et l’Église s’y est adaptée, ce qui a démobilisé le militantisme anticlérical. Si donc nous ne comptons que sur les libres-penseurs pour mener le combat laïque, inutile de continuer, il est perdu d’avance - dans un contexte démocratique, s’entend - , d’autant que l’agressivité en ce domaine (« À bas la calotte ! ») est contre-productive : elle permet aux antilaïques... pardon, aux apôtres d’une « laïcité ouverte, apaisée, etc. » de présenter la vraie laïcité (celle qui n’a pas besoin d’adjectif) comme une manœuvre antireligieuse en étant si peu que ce soit crédible... et c’est bien dommage.

Pour défendre aujourd’hui le modèle laïque français, la logique qui l’a justifié au XIXe siècle ne suffit plus. Il faut maintenant une argumentation susceptible de convaincre au-delà du cercle des incroyants. Cette argumentation, c’est celle qui s’adresse à tous les citoyens, croyants ou pas, attachés aux libertés de conscience et d’expression et à tout ce qu’elles impliquent : liberté de croire, de ne pas croire, d’abjurer, de critiquer et même de moquer (sous la seule réserve de ne pas porter atteinte aux personnes et à leur droit à ces mêmes libertés) ; liberté, en somme, d’exercer sa raison dans un débat ouvert qui seul permet, en discutant les idéologies, y compris religieuses, de les faire évoluer positivement. Ne pas admettre cela, c’est être un intégriste, donc un fanatique, un non-civilisé. Les religions, d’ailleurs, n’ont pas le monopole du dogmatisme, et ceux qui justifient la violence totalitaire au nom d’une utopie sociale n’ont rien à envier, en termes de barbarie, à ceux qui font de même au nom d’une religion. Le concept de laïcité ne détermine donc pas une frontière entre croyants et incroyants, mais entre gens raisonnables et fanatiques, pour protéger les premiers contre les seconds. L’État laïque garantit les libertés de conscience et d’expression précisément parce que, ne reconnaissant officiellement aucune religion, il ignore à la fois tout jugement moral relatif à ses dogmes et textes « sacrés » et tout délit (blasphème, hérésie, apostasie...) que l’on pourrait invoquer en leur nom. La laïcité, ce n’est pas de combattre les religions ni même de chercher à les rendre politiquement correctes, c’est de n’en reconnaître aucune dans la sphère publique pour permettre la libre pratique comme le libre examen de toutes dans la sphère privée de chacun.

Dans notre système laïque, donc, l’État n’a pas à se préoccuper du contenu idéologique des textes fondamentaux de quelque philosophie ou religion que ce soit. Les croyants - et c’est pour eux une garantie importante - ne sauraient donc subir de discrimination en fonction de l’acceptabilité morale des préceptes contenus dans ces textes. La laïcité offre ainsi une ouverture sans préjugé à toutes les religions, même à celles dont les traditions sont sexistes, violentes ou totalitaires, et qui pourraient de ce fait constituer une menace pour notre société. Les croyants sont en revanche, comme tous les citoyens, responsables de leur propre comportement vis-à-vis de la loi. Un religieux qui prône ou justifie le meurtre est passible de poursuites judiciaires, et ce quels que soient ses textes de référence (qui ne sont « sacrés » que pour ceux qui veulent bien y croire, et en aucun cas au regard de l’État laïque). Ces textes ne sont pas en eux-mêmes un chef d’accusation, liberté de conscience oblige, mais ne sauraient non plus constituer une excuse. L’absence de toute censure relative à la religion en tant que telle a pour contrepartie l’obligation pour ceux qui y adhèrent de le faire avec discernement.


Laïcité, rien que la laïcité

De culture républicaine comme nombre de mes concitoyens, j’ai fait miennes diverses valeurs morales telles que droits de l’homme (femme incluse, bien entendu), émancipation de la pensée (par l’instruction publique), justice économique et sociale... et naturellement laïcité de l’État. Il est évident que ces valeurs sont liées, à la fois par l’humanisme qui les sous-tend et par leur contexte historique. Pour autant, est-ce rationnel, et surtout stratégiquement judicieux, d’en faire l’amalgame sans précaution ?

L’extériorisation la plus fréquente de la culture identitaire des communautés issues de l’immigration réside dans le port de vêtements traditionnels enveloppants, surtout pour les femmes, sous prétexte d’une protection religieusement correcte de leur pudeur. Les différentes variantes du voile islamique en sont l’exemple classique, où le précepte religieux sert avant tout à conforter une tradition patriarcale profondément sexiste. Rien d’étonnant donc à ce que tous ceux qui sont attachés à l’égalité des droits, et particulièrement les mouvements féministes, soient révulsés par ce symbole vestimentaire de l’asservissement de celles qui le portent. Mais quoi ?... En dehors de la sphère publique de l’État et de ses institutions, on ne peut que respecter la liberté pour chacun d’exprimer son opinion, même si celle-ci - « je suis soumise et j’aime ça » - est la négation même de la liberté. On se souviendra d’ailleurs avoir vu autrefois, sans en avoir été scandalisé outre mesure, les religieuses catholiques semblablement vêtues... Donc, mis à part les voiles qui masquent le visage et qui pourraient (devraient même, à mon avis) être prohibés pour des raisons de sécurité publique, ces accoutrements, tant qu’ils se situent dans la sphère privée, y comprirent dans les lieux publics, ne peuvent être légitimement interdits, et surtout pas au nom de la laïcité : C’est rendre à celle-ci un bien mauvais service que de l’instrumentaliser, par un amalgame avec la cause féministe, contre la liberté d’expression dont, précisément, le système laïque est garant ! En revanche, c’est le rôle des mouvements féministes que de contrer l’argumentaire religieux du sexisme, d’informer les femmes de leurs droits, et de contribuer ainsi à l’éducation publique qui est, à terme, souvent plus efficace que la législation elle- même...

L’importance fondamentale de l’éducation sur l’évolution des mentalités n’est en effet plus à démontrer, et ce n’est pas un hasard si les intégristes de toutes tendances ont toujours rejeté l’éducation par la raison et la connaissance objective pour revendiquer l’enseignement, si possible exclusif, de leurs propres doctrines. Un État démocratique doit donc garantir le droit des enfants à une éducation émancipatrice, soit au travers d’un service public, soit par des conventions avec des établissements de droit privé. D’un point de vue égalitaire, le service public est naturellement préférable, et certains (dont je suis) regrettent même que l’État français, quand il en a eu l’occasion historique, ne se soit pas attribué le monopole de l’enseignement général, au moins primaire - encore eût-il fallu s’en donner les moyens -. Pour autant, c’est une erreur que de défendre l’école publique au nom de la laïcité. Si, en effet, celle-ci impose de tenir les services publics hors de toute influence confessionnelle, elle ne fixe en revanche nullement le domaine que doivent couvrir les services en question. On peut donc, au nom du libéralisme économique, prôner la privatisation de l’enseignement sans que la laïcité soit formellement en cause, pourvu que l’État s’assure de ne subventionner que des établissements pratiquant un enseignement laïque, ce qui est le cas général aujourd’hui. Au temps de Jules Ferry, l’école privée était synonyme d’une éducation dogmatiquement religieuse et antirépublicaine, ce qui justifiait l’instauration de l’école publique au nom de la laïcité et de la démocratie, mais cette logique n’est plus d’actualité. Au contraire, l’abus de l’argument laïque pour défendre les postes et les salaires de l’Éducation Nationale ne peut qu’être utilisé contre la cause de la laïcité elle-même par ceux qui souhaitent, pour mieux la combattre, l’accuser de servir un fonctionnarisme corporatiste.

Le drame de la laïcité, enfin, est qu’elle est perçue, par ceux-là mêmes qui la défendent le plus énergiquement, comme un élément parmi d’autres dans des stratégies politisées « globalisantes », suivant la formule de Jean Jaurès : « aboutir à la république sociale en liant le combat laïque au combat social ». L’amalgame va plus loin encore chez les marxistes, pour qui la religion, de par son effet anxiolytique et réconfortant (« l’opium du peuple »), détourne le prolétariat de la révolution libératrice et doit donc être combattue, la laïcité constituant une étape dans ce but. Ainsi la laïcité se trouve-t-elle associée, dans l’inconscient collectif, non seulement à d’autres principes républicains généralement admis, mais aussi à des idéologies de gauche, voire d’extrême gauche, qui sont beaucoup moins consensuelles. Et les suppôts du communautarisme ont alors beau jeu, tout en manifestant un attachement hypocrite à une laïcité de principe, de reprocher au modèle français une prétendue intolérance qui serait le reflet, au mieux d’un anticléricalisme désuet, au pire d’un totalitarisme sorti des poubelles de l’Histoire...

Il faudrait, en face d’eux, expliquer que le principe laïque n’est rien s’il ne se traduit pas dans la législation ; que la loi de 1905 répond à ce besoin ; qu’elle a été votée en son temps par des « gens de gauche », mais qu’elle n’est aujourd’hui ni de gauche ni de droite, elle est le bien commun de tous les Français ; qu’elle n’est ni féministe, ni socialiste, mais purement et simplement laïque ; et qu’elle n’est pas antireligieuse, mais est faite, au contraire, pour protéger les croyants de bonne foi (dans tous les sens du terme) comme les incroyants... Voilà, en effet, ce qu’il faudrait dire...


L’avenir ?... La laïcité !

Voilà, plutôt, ce qu’il aurait fallu dire... car il est à craindre que ce ne soit déjà trop tard. Les défenseurs de la laïcité, trop politisés et agressifs, n’ont pas su être suffisamment convaincants. La plupart des Français se soucient plus de leur pouvoir d’achat que de leur liberté de conscience qui n’est pas directement menacée. Nos dirigeants pensent garantir la paix civile par des aides aux communautés religieuses, notamment musulmanes, en échange de leur collaboration. Et la construction de l’Europe politique, majoritairement communautariste et déjà sous l’influence des lobbies religieux, est inéluctable. Bref, tout concourt dans notre pays à une régression de l’esprit laïque, à une reconnaissance de plus en plus officielle des instances cléricales de toutes confessions, et finalement à une remise en cause de la loi elle-même. Cette évolution probable, pour décevante qu’elle soit, doit être considérée avec philosophie (n’oublions pas que notre République elle-même ne s’est pas faite en un jour...). Le communautarisme aura peut-être l’avantage, du moins je l’espère, d’amener les non-croyants à se rassembler, à prendre conscience de leur identité et à affirmer publiquement leur humanisme, bref à sortir de l’ombre, mais ceci est un autre débat. Il reste qu’à terme, une chose paraît certaine : la mondialisation des religions finira par avoir raison du communautarisme. Qu’arrivera-t-il en effet lorsque, usant des réseaux modernes de communication et s’appuyant localement sur des populations émigrées de plus en plus nombreuses, les diverses religions de la planète pourront chacune ambitionner d’implanter leur théocratie n’importe où, et notamment en France ? Lorsque pour cela elles entreront en compétition les unes avec les autres ?... Les pouvoirs publics, pour éviter des situations ingérables, pour imposer le « vivre ensemble » civilisé, n’auront alors d’autre recours que celui de la laïcité. Espérons seulement qu’ils n’attendront pas des effusions de sang pour s’en apercevoir.

www.laic.fr

Partager cet article
Repost0
5 novembre 2006 7 05 /11 /novembre /2006 23:29

par Henri Pena Ruiz

 


Monsieur le Ministre, vous avez repris à votre compte une formule forte. "Pas de tabou". Très bien. Alors posons cinq questions devenues cruciales après la publication du rapport Machelon. La laïcité, aujourd'hui menacée de toutes parts, mérite bien que toute la lumière soit faite sur des révisions annoncées. Le débat public pourra ainsi être pleinement éclairé.


Première question. Les humanistes athées doivent-ils jouir des mêmes droits que les croyants?

Dans votre livre sur la République et les religions, vous accordez un privilège à l'option religieuse. Selon vous, en dehors de celle-ci, il ne serait pas possible de donner à la conduite de l'existence les repères de sens dont elle a besoin. Sartre l'athée et Camus l'agnostique devaient donc être perdus devant les problèmes de la vie...Et Bertrand Russel, qui écrivit "Pourquoi je ne suis pas chrétien" devait se trouver démuni devant les questions éthiques. Ne pensez-vous pas que celui qui ne croit pas au ciel a de quoi être blessé par votre préférence ? Honoré d'Estienne d'Orves, catholique résistant, méritait-il davantage de considération que Gabriel Péri, athée résistant ? Tous les deux tombèrent sous les balles des nazis. Vous connaissez le mot du poète. "Celui qui croyait au ciel, celui qui n'y croyait pas, qu'importe comment s'appelle cette clarté sur leurs pas, que l'un fût de la chapelle et l'autre s'y dérobât " (Louis Aragon, La Rose et le Réséda)


Deuxième question. Quelle égalité s'agit-il de promouvoir ?

Vous dites vouloir l'égalité des religions entre elles, et pour cela vous envisagez de construire sur fonds publics des lieux de culte, notamment pour permettre aux citoyens de confession musulmane de compenser leur déficit en la matière par rapport aux catholiques, qui jouissent d'un usufruit gratuit des églises construites avant 1905, même si cet usufruit, par "affectation spéciale" est limité aux seuls moments de pratique religieuse. Vous ne demandez pas le même financement pour des maisons de la libre-pensée ou des temples maçonniques.

Êtes-vous donc partisan de la discrimination entre les citoyens selon les options spirituelles dans lesquelles ils se reconnaissent ? L'égalité républicaine se réduirait-elle pour vous à l'égalité des divers croyants, à l'exclusion des humanistes athées ou agnostiques ? Parler en l'occurrence de "toilettage" de la loi de séparation de 1905 est un euphémisme trompeur. Rétablir le financement public des cultes, c'est raturer un des deux articles de cette loi, inscrits sous la rubrique "Principes". "La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte" Avouez que renoncer à un principe sur deux, c'est plus que "toiletter" la loi. C'est l'abolir.

On ne peut en l'occurrence assimiler l'entretien du patrimoine historique et artistique constitué par les édifices du culte légués par l'histoire, et laissés en usufruit partiel aux associations cultuelles, à une règle de financement. Dans un état de droit, aucune loi n'est rétroactive. Depuis le premier Janvier 1906, toute construction d'un nouveau lieu de culte est à la charge des seuls fidèles, quelle que soit la religion en jeu. Telle est la règle, et les entorses trop fréquentes qui la bafouent ne sauraient pas plus faire jurisprudence que le fait de griller les feux rouges n'appelle leur abolition.


Troisième question. Quelle priorité pour les pouvoirs publics ?

Le rapport Machelon, qui a votre sympathie, utilise le concept de liberté de religion, pour permettre le glissement du "libre exercice des cultes", garanti par le premier article de la loi, à la nécessité supposée de financer les cultes. Joli jeu de mots et vrai tour de passe-passe, qui risque de tromper. En République, seul l'intérêt général, commun à tous, portant sur les biens et besoins de portée universelle, mérite financement public.

Or la religion n'est pas un service public, comme l'instruction, la culture ou la santé. Elle n'engage en effet que les fidèles, c'est-à-dire une partie des citoyens seulement. La puissance publique, dont les fonds résultent des impôts payés par des athées autant que par des croyants, n'a donc pas à financer les cultes, pas plus qu'elle n'aurait à financer la diffusion de l'athéisme. En convenez-vous ? La question est grave, à l'heure où l'ultralibéralisme économique entend dessaisir l'État de son rôle social, et soumettre à la loi du marché les services publics préalablement privatisés.

L'État, jugé trop pauvre pour assurer les finalités sociales des services publics qui concernent tous les citoyens (éducation, culture, santé, accès à l'énergie et à la communication) serait donc assez riche pour financer l'option religieuse qui pourtant n'en concerne que certains. Voulez-vous sacrifier l'universel sur l'autel du particulier ? Nos hôpitaux manquent de moyens, notre école publique également. Révoltant paradoxe.

Briser la laïcité en même temps que les services publics. Et faire passer cette régression par le supplément d'âme d'un monde sans âme, alliant le baume communautariste et le privilège public des religions. Jean Jaurès et Aristide Briand, préparant la Loi de séparation de 1905, savaient qu'en supprimant le budget des cultes ils ne faisaient pas qu'abolir un privilège : ils transféraient à l'Etat des ressources publiques bienvenues pour ce qui est d'intérêt commun. Les retraites ouvrières, en gestation, n'allaient-elles pas être attribuées aux travailleurs croyants comme aux athées, permettant aux premiers de se cotiser plus aisément pour financer eux-mêmes leurs lieux de culte ?


Quatrième question. Quelle conception de la lutte contre le fanatisme ?

Vous dites vouloir éviter les interventions étrangères, notamment les financements venus de pays peu respectueux des valeurs républicaines et démocratiques. Et vous affirmez qu'en payant on pourra mieux contrôler. Fausse évidence. Car enfin quel lien juridique y a-t-il entre le financement et un droit de regard sur les propos des responsables religieux dans les lieux de culte ?

Il ne peut exister que par le rétablissement d'une démarche concordataire, c'est-à-dire anti-laïque. Napoléon avait fait le concordat de 1801 en assortissant le financement public des cultes d'allégeances obligées des autorités religieuses à son pouvoir. Le catéchisme impérial de 1807 a radicalisé ce système assez humiliant pour les croyants, puisqu'en somme il les achète. Dans une république laïque, il ne saurait y avoir d'allégeance assortie de privilège. Veut-on imposer une orthodoxie aux religions ? Qui ne voit le caractère infaisable, et irrecevable d'une telle perspective ?

Seule une loi commune à tous doit dire le droit. Elle proscrit par exemple toute violence, toute discrimination entre les sexes, toute entrave à l'exercice de la médecine. Un pasteur ou un curé incitant des commandos à perturber les interruptions volontaires de grossesse, comme on l'a vu en Amérique, tombe sous le coup de cette loi. De même un imam qui inciterait à battre la femme adultère. Bref, il n'est pas nécessaire de payer pour contrôler. Seul vaut l'état de droit. Et ce qui importe n'est pas la nationalité d'un imam, mais son respect des lois républicaines. Ne nous trompons pas de combat. Ce n'est pas l'étranger comme tel qui pose problème à la République, mais celui qui entend s'affranchir de la loi commune pour lui substituer sa loi particulière, qu'elle soit religieuse ou coutumière.


Cinquième question. Que reste-t-il de la laïcité, et de la République, si on rétablit un financement discriminatoire ?

La République n'est pas une juxtaposition de communautés particulières. Il n'y a pas en France cinq millions de "musulmans", mais cinq millions de personnes issues de l'immigration maghrebine ou turque, très diverses dans leurs choix spirituels. Une enquête récente dont Le Monde s'est fait l'écho, précise que seule une petite minorité de cette population fréquente la mosquée, la majeure partie faisant de la religion une affaire privée, ou ne se référant à l'Islam que par une sorte de solidarité imaginaire. Dès lors, la République doit-elle renoncer à la laïcité pour satisfaire cette minorité, ou concentrer les deniers publics sur la redistribution par les services publics, la gratuité des soins, le logement social, ou la lutte contre l'échec scolaire, qui concernent à l'évidence tous les hommes, sans distinction de nationalité ou de choix spirituels ?

N'est-ce pas le devoir des hommes politiques d'expliquer qu'en assurant des missions de service public profitables aux croyants comme aux athées, et en luttant contre tous les types de discrimination, que l'État facilite aux uns et aux autres le financement volontaire de la conviction de leur choix ? Il est évidemment essentiel, dans cet esprit, de permettre aux croyants l'acquisition des terrains qu'ils financeront, et toute discrimination foncière doit être combattue. Le prétexte invoqué pour l'abolition de la Loi de séparation laïque de 1905 -car il s'agit bien de cela- est l'aide à apporter aux citoyens de confession musulmane. Or la promotion du bien commun à tous, et non la prise en charge publique de la religion, est la meilleure réponse au problème soulevé. C'est aussi la seule légitime.

On sait bien qu'en république on ne peut accorder des droits aux uns sans les étendre à tous. La construction de mosquées sur fonds publics appellerait aussitôt celle de nouvelles églises, de temples, ou de synagogues. Et si l'on brouille la frontière pourtant nette entre le culturel et le cultuel, comme le propose le rapport Michalon, on parachève le démantèlement de la loi. Est culturel ce qui peut intéresser tous les hommes, comme l'art religieux ou les mythologies, qu'éclaire une approche laïque. Est cultuel ce qui réfère à la croyance religieuse de certains. Les mots ont donc un sens, et tout glissement visant à confondre ce qui est distinct est une malhonnêteté.

Cela s'appelle du détournement des deniers publics. Veut-on obtenir le rétablissement du financement indirect du culte en utilisant le financement direct de la culture ? Ce tour de passe-passe relèverait de la sanction légitime de la Cour des Comptes, comme la discrimination donnant plus de droits aux croyants qu'aux athées appellerait un recours devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme.

Nulle polémique, Monsieur le Ministre, dans de telles interrogations, mais l'inquiétude vive d'un républicain qui n'est pas décidé à admettre de nouveaux empiètements programmés contre la laïcité. À l'heure où les communes de France croulent déjà sous des charges indues, comme les nouvelles obligations à l'égard des écoles privées, l'abolition des lois laïques serait très mal vécue. À l'heure où certains parlent de rétablir le délit de blasphème, à contre-courant des grandes conquêtes de l'esprit de liberté, la conscience citoyenne ne peut que s'insurger.

Rassurez-nous, Monsieur le Ministre. Dites clairement qu'il n'est nullement dans votre programme de dresser certains citoyens contre d'autres en donnant aux uns des privilèges qui n'avouent pas leur nom, et qui spolient le bien public tout en stimulant le communautarisme. Et ne dissimulez pas ce projet de délaïcisation sous la rhétorique ressassée des "évolutions nécessaires". Vous savez bien que la seule question qui vaille n'est pas de savoir si une chose est ancienne ou nouvelle, mais si elle est juste ou non. En bref ne brisez pas ce que bien des peuples nous envient. Car l'idéal laïque est un vecteur d'égalité comme de liberté, une source de fraternité. Pourvu qu'il aille de pair avec la justice sociale, il répond au grande défi de notre époque : partager un monde commun à tous.

 

ReSPUBLICA

Partager cet article
Repost0